Paris/Bruxelles, le 21 mars 2013 – L’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, a publié hier un avis scientifique sur les critères scientifiques à retenir pour la définition réglementaire des perturbateurs endocriniens [1].
Contexte – Les directives « pesticides » et « biocides » prévoient de ne plus octroyer d’autorisations aux substances présentant un caractère de perturbateurs endocriniens (PE) dès le 14 décembre 2013 tandis que le règlement Reach, la directive Cosmétiques, la Directive cadre sur l’eau et d’autres textes de loi devraient inclure ou renforcer des dispositifs de contrôle des PE. Reste à définir d’ici décembre ce qu’est réglementairement un perturbateur endocrinien. C’est pour servir cet objectif qu’à la surprise générale la DG SANCO de la Commission européenne avait confié en octobre dernier un mandat à l’EFSA, semblant vouloir court-circuiter un processus multipartite en cours coordonné par la DG Environnement [2].
Un document qui apporte plus de questions que de réponses – L’avis de l’EFSA laisse une impression étrange. Il insiste de manière générale sur toutes les lacunes auxquelles sont confrontés les scientifiques pour définir ce qu’est un « perturbateur endocrinien » mais « au lieu, de proposer des options pratiques pour y parvenir d’ici décembre, l’EFSA choisit un chemin qui nous conduit à la paralysie éternelle » critique Yannick Vicaire, chargé de mission au Réseau Environnement Santé. Dans son opinion, l’EFSA souhaite qu’un PE soit défini sur la base de preuves d’« effets nocifs », d’une part, de preuves de « mode d’action endocrinien », d’autre part, et de preuves de liens de causalité entre les deux … tout en soulignant que le terme d’« effets nocifs » (adverse effects en anglais) ne dispose pas non plus d’une définition – « c’est le Père Ubu au secours de l’immobilisme ! » commente Yannick Vicaire « et malheureusement, l’immobilisme profite aux intérêts industriels à court terme mais certainement pas à résoudre la situation sanitaire et environnementale urgente que nous décrit le rapport récent de l’OMS et du PNUE [3] ».
A l’inverse, les associations présentes ont trouvé le document de l’EFSA trop optimiste sur la qualité des tests et essais établis par la réglementation existante (normes OCDE) pour permettre de juger les substances chimiques à l’aune des effets multiples de la perturbation endocrinienne. Enfin, de manière étrange, le document affirme que les perturbateurs endocriniens peuvent (doivent ?) faire l’objet d’une évaluation des risques (au cas par cas) et qu’une évaluation sur les seuls dangers n’est pas suffisante. Cette affirmation, en contradiction complète avec l’accent mis sur les lacunes scientifiques ou l’absence (assumée) de considération de l’effet cocktail dans l’avis de l’EFSA, semble répondre aux récentes décisions françaises d’interdire le bisphénol A sur la base du rapport de dangerosité rédigé par l’ANSES. Elle constitue surtout un excès de zèle par rapport au mandat de l’EFSA et une attaque sous-entendue des législations adoptées qui reconnaissent le caractère incontrôlable des PE et favorise l’approche moderne de substitution du danger (les substances dangereuses sont indésirables) contre l’approche ancienne de maîtrise des risques (les substances dangereuses sont gérées par des mesures de protection). « Les législateurs ont choisi l’élimination des pesticides et biocides PE et le parlement européen vient de préconiser la même démarche pour Reach mais en poussant à introduire une charge de la preuve insurmontable dès la définition des PE, l’EFSA pourrait bien réduire ce volontarisme à néant » avertit Yannick Vicaire.
Un point préoccupant de l’avis de l’EFSA réside aussi dans la distinction qu’il tente d’imposer entre « substances présentant une activité endocrinienne » (EAS) et « perturbateurs endocriniens » : une tentative de dilution sémantique qui ajoute à la confusion et qui ouvre également la porte à une définition très limitée des PE.
Enfin, l’avis de l’EFSA part du constat qu’il n’existe pas de consensus scientifique sur l’existence ou la pertinence des faibles doses et des courbes doses-réponses non monotones. Mais de qui attend-on un tel consensus ? Des chercheurs en pointe sur la perturbation endocrinienne (et dans ce cas, consensus il y a) ? De l’ensemble de la communauté scientifique (et c’est alors en bonne voie) ? Ou encore du cercle des experts publics et industriels dont les schémas de pensée et/ou les intérêts sont remis en cause (et là, c’est évidemment le milieu le plus résistant au changement de paradigme) ? En quoi ce document aidera-t-il à servir, d’ici la fin de l’année, les objectifs de la législation, la protection de la santé et de l’environnement ? C’est la question que posent le Réseau Environnement Santé et Générations Futures.
À noter que la publication de l’avis EFSA coïncide avec la parution du premier volet de l’enquête EXPPERT – EXposition aux Pesticides PERTurbateurs Endocriniens réalisé par Générations Futures [4]. « Ce premier rapport permet de prendre clairement conscience de l’exposition ubiquitaire à des insecticides suspectés d’être PE. Son but ultime est de faire prendre conscience à nos responsables politiques de l’urgence d’une action préventive dans ce domaine. Nous remettrons officiellement ce rapport, et les suivants, au comité qui travaille sur la mise en place de la future Stratégie Nationale sur les PE lors de la réunion du 22 mars [5] ainsi qu’aux différents ministères concernés pour que demain aucun organisme ne contienne de perturbateurs endocriniens afin de protéger la santé des enfants à naître, c’est là tout l’enjeu de la question des PE » déclare François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.
[1]. http://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/130320.htm?utm_medium=infocus&utm_source=homepage&utm_campaign=easopinion
[2]. Voir http://reseau-environnement-sante.fr/2012/10/03/ressources/lettre-ouverte-des-ong-a-la-commission-europeenne-sur-le-mandat-attribue-a-lefsa-pour-definir-les-pe/ et http://reseau-environnement-sante.fr/2012/10/01/dossiers-par-themes/communique-de-presse-1er-octobre-2012-pe-manoeuvre-politique-pour-tuer-le-debat/ – Lire aussi à ce sujet http://www.stephanehorel.fr/efsa/
[3]. http://www.who.int/iris/bitstream/10665/78101/1/9789241505031_eng.pdf
[4]. http://www.generations-futures.fr/pesticides/etude-exppert-1-exposition-aux-pesticides-perturbateurs-endocriniens/
[5]. Le groupe de travail, chargé d’élaborer une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, se réunira le 22 mars de 14h à 18h.
Contacts presse
– Yannick Vicaire, chargé de mission, Réseau Environnement Santé, 06 08 75 50 15
– François Veillerette, porte-parole, Générations Futures, 06 81 64 65 58