« Doux : analyser les raisons de l’échec pour mieux rebondir»

Toutes les leçons doivent être tirées de la situation actuelle du groupe DOUX hier encore présenté comme l’un des fleurons du « modèle agricole breton ».

Ce groupe qui a su utiliser « l’arme alimentaire » pour conquérir des marchés et qui, pour ce faire, a largement bénéficié de l’argent public grâce aux aides de la PAC plonge aujourd’hui des milliers d’éleveurs et de salariés de l’agro-alimentaire dans l’angoisse et la détresse.

Les instances régionales se doivent de saisir la cour des comptes afin que soit réalisé un audit financier complété d’une analyse de toutes les conséquences économiques et sociales de ce dépôt de bilan.

Ce n’est qu’à cette condition que la région sera à même d’apporter une contribution éclairée à la mise en œuvre d’un autre modèle de développement agricole conforme aux critères d’un authentique développement durable tout à la fois respectueux des producteurs, des consommateurs, des équilibres naturels voire même du bien être animal.

Car si le repreneur de Doux poursuit l’activité selon le même modèle de production, certes il sauvera momentanément des emplois, mais il ne fera que prolonger un modèle dépassé, avec des aides publiques à fonds perdus. Le temps presse. Oui il faut un ou des repreneurs. Mais, simultanément il faut mobiliser tout un territoire – acteurs économiques, responsables politiques, monde associatif représentant la société civile – pour se frotter ensemble (ce sera rude !) et penser une nouvelle stratégie. Un modèle agricole se meurt, un autre demande à naitre. La transition, c’est maintenant.

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Doux : analyser les raisons de l’échec pour mieux rebondir.
Jean Yves Griot

Doux, une entreprise inscrite dans le modèle productiviste breton hors sol…

Pour comprendre le formidable développement des productions animales en Bretagne à partir de la fin des années 60, il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Avec la mise en place du marché commun agricole, l’agriculture bénéficie d’une protection communautaire efficace avec des prix garantis, supérieurs aux prix mondiaux, tout en ayant la possibilité d’acheter au prix mondial, sans droits de douane, des produits de substitution des céréales (PSC) pour l’alimentation animale. C’est une rente de situation, vendre le produit fini au prix européen, garanti et sans limite, avec des approvisionnements au prix mondial. Plus on produit, plus on gagne, d’où cet emballement dans la course au toujours plus. Les subventions aux exportations, qui permettent d’écouler les excédents, complètent le dispositif.
Ce développement s’est fait au prix d’importations croissantes d’aliments du bétail, manioc, corn gluten feed, et soja. Il s’est fait aussi au prix de quantités croissantes de déjections animales au-delà des besoins des cultures, d’où les pollutions qui sont installées et perdurent.
Mais la rente de situation a été passagère. En 1992, l’Europe décide de baisser les prix européens pour se rapprocher des prix mondiaux et compenser les baisses de prix par des primes sur les surfaces en céréales et oléo protéagineux. Peu à peu les céréales européennes, dont les prix ont baissé, vont reprendre la place des PSC – c’est la reconquête du marché interne de l’alimentation animale par les céréales métropolitaines – mais les importations de soja continueront à croitre. La dépendance en protéines importées augmente et se double d’une dépendance aux aides de la PAC. La rente de situation est moins évidente. La concurrence des pays tiers se fait plus vive, à tel point que Doux choisit de se délocaliser au Brésil, le Brésil ayant l’immense avantage de pouvoir produire sur place les aliments des volailles, d’avoir une main d’œuvre bon marché et pas encore de réglementation environnementale.
Doux au Brésil, sous le nom de Frangosul, concurrence Doux Bretagne d’abord sur les marchés au Proche Orient, et ensuite sur le marché intérieur français. La guerre des prix sur les poulets industriels a tourné à l’avantage de pays tels que la Thaïlande et le Brésil. Bourgoin, le roi du poulet en France, fait faillite en 2000 et son groupe est dépecé. UNICOPA cède en 2008 son activité volailles à l’export. Aujourd’hui 40 % des poulets consommés en France sont importés…. Et nombre de poulaillers ont fermé, ainsi que des outils industriels….

dont la faillite traduit celle du modèle.

Cette production industrielle de volailles, qui s’est développée à l’abri des frontières européennes, bénéficie aujourd’hui encore des aides de la politique agricole commune (primes aux céréales, subventions aux exportations). Selon l’estimation de l’économiste Jacques Berthelot, le taux réel de dumping des volailles entières congelées exportées est de 50 à 80 % selon les années. C’est une production sous perfusion d’aides publiques, avec des emplois mal payés dans les abattoirs et unités de découpe, car la valeur ajoutée produite est très faible, même avec les aides.
Doux a connu 25 fermetures de sites en 20 ans. Doux a fortement bénéficié des aides financières de l’Europe. Tout en important des poulets du Brésil, il a été subventionné pour exporter : 55 millions d’euros par an en moyenne ces dernières années. Doux, endetté, vient de céder à JBS, premier producteur de viandes au monde, sa filiale brésilienne Frangosul d’une capacité de 1,1 million de poulets/jour.

Faire un audit sans complaisance …

Environ 1 milliard d’euros de fonds publics, c’est le total cumulé des aides à l’entreprise Doux : subventions aux exportations, aides des collectivités locales pour des investissements ou la rénovation des sites, aides pour faire face à la grippe aviaire. Ces aides ont été accordées sans conditions, sans contreparties. Le résultat est que la famille Doux s’est enrichie, a investi au Brésil, fermé des sites en France, et est aujourd’hui en redressement judiciaire. D’un côté Charles Doux affiche en 2011 une fortune de 330 millions d’euros, en progression de 18 % par rapport à 2010, 146 ème fortune de France selon le classement de Challenges. De l’autre, on ne peut qu’être inquiet pour l’économie locale : quel avenir pour les 3400 salariés, les 800 aviculteurs et tous les emplois qui sont liés à la filière, au total environ 10 000 emplois ?

A ce nécessaire audit financier sur le groupe Doux, il faut adjoindre une analyse systémique sur les conséquences pour la région Bretagne et les régions limitrophes de ce type de développement. L’entreprise Doux a été particulièrement compétitive pour capter des aides publiques – 1 milliard d’€ – mais en apportant très peu de valeur ajoutée au sein de la filière de production. Ce sont des poulets industriels, bas de gamme, vendus à bas prix, obtenus avec des importations de soja d’Amérique latine, en concentrant la production en Bretagne et participant ainsi aux pollutions dues aux excédents de déjections animales. Le bilan global est à faire, mais gageons qu’il ne sera pas brillant.

pour reconstruire sur de meilleurs bases et dessiner un avenir pour l’aviculture française
La mise en redressement judiciaire de l’entreprise Doux est un coup dur porté à l’économie locale au travers des milliers d’emplois qui sont menacés. L’objectif des pouvoirs publics est semble-t-il de trouver un repreneur pour poursuivre l’activité et sauver les emplois. Et bien évidemment cela se fera avec une nouvelle mise de fonds publics pour accompagner la reprise. En supposant que le repreneur existe, alléché par de nouvelles aides publiques « pour sauver les emplois », on peut craindre que ce ne soit qu’une solution de court terme, le prolongement de l’agonie d’un système à bout de souffle.

Et si l’on se donnait l’ambition de voir plus loin, de penser l’avenir de la production de poulets, plus globalement de la production de volailles, de toutes ces productions « hors sol », y compris la production porcine, et des industries agroalimentaires qui en découlent ? Y a-t-il un avenir pour ces filières et à quelles conditions ?

Un avenir est possible, car il y a des acquis qui sont des atouts. Un réseau dense d’éleveurs qualifiés avec un encadrement technique et scientifique, des entreprises d’amont et d’aval. Les hommes et les outils de productions existent. Mais il ne suffit pas de produire, il faut retrouver de la valeur ajoutée en mettant sur le marché un produit répondant aux attentes sociétales.

Le groupe Doux va mal, mais ce n’est pas toute la filière volaille qui est en crise. D’autres volaillers, qui ont fait d’autres choix, vont mieux … par exemple LDC avec en son sein les Volailles de Loué qui font des productions sous label et ne mettent en production que ce qui est vendu. N’est ce pas un exemple à méditer ? Non pas chercher à produire encore plus pour prendre les parts de marché du concurrent, et faire baisser les prix, mais produire ce que le marché intérieur peut absorber et rechercher les complémentarités entre producteurs.

Le premier objectif doit être de reconquérir le marché intérieur de manière à anticiper la fin des restitutions, c’est-à-dire la fin des exportations subventionnées. Pour cela il faut fidéliser le consommateur régional et le consommateur français, en lui donnant de bonnes raisons d’acheter ce poulet produit ici. Faire un produit bas de gamme et espérer fidéliser le consommateur parce que c’est un produit français est une démarche à courte vue et condamnable au niveau européen, car nous sommes dans un marché unique. C’est pourtant ce que tente le logo VPF pour les porcs. La marque « Produit en Bretagne » ne fait guère mieux, malheureusement. Quelles peuvent être les bonnes raisons de consommer local ? Il faut être crédible en donnant au consommateur des garanties qui devraient être au minimum les suivantes :
produit ici : on indique la provenance des produits
produit dans le respect de l’environnement (directives européennes)
produit dans le respect du bien être animal (directives européennes)
produit en assurant un revenu décent à ceux qui travaillent, éleveurs et salariés, c’est-à-dire que l’on doit une transparence des coûts tout au long de la filière.

Nourrir sans OGM
Comme chacun le sait, les aviculteurs bretons ont besoin d’importations de soja pour apporter aux poulets en croissance rapide les protéines en quantité et en qualité suffisantes. Une majeure partie de ce soja importé est transgénique, c’est-à-dire génétiquement modifié pour tolérer le glyphosate (nom commercial : le round up de Monsanto). La plante pousse en présence de l’herbicide et s’en imprègne. Donner du soja transgénique aux animaux que l’on consomme, c’est faire entrer le glyphosate dans la chaine alimentaire. Déjà le glyphosate et ses dérivés sont présents dans 90 % des eaux de surface en France. Un jour cet herbicide sera interdit comme l’a été l’atrazine, désherbant du maïs qui était aussi très présent dans les eaux de surface.
sachant que les consommateurs français et européens ne veulent pas d’OGM dans leurs assiettes (et ils ont raison),
sachant que l’étiquetage « nourri sans OGM » est autorisé depuis le 1er juillet 2012,
sachant qu’il n’y a pas de difficulté à trouver les quantités suffisantes de soja non OGM sur le marché mondial
sachant que le surcoût du soja non OGM est essentiellement dû au coût de la traçabilité et de la séparation des filières,
sachant que le fait d’avoir deux filières séparées dans les ports, les usines d’aliments et les transports engendre des surcoûts et des risques de contamination,
il est clair qu’il y a un intérêt majeur pour la Bretagne, mais aussi les autres régions de se déclarer exempte d’OGM en cultures et en importations. Tout milite pour cela : le bon sens pratique, le besoin de redonner une image de qualité aux productions animales de l’Ouest, et le bénéfice économique qui en résulterait. Et voilà ce qui serait une bonne raison pour les consommateurs de préférer les produits d’ici.

Au bout du compte, cela pourrait faire quelques centimes de plus au kg, peut être jusqu’à 10 ou 20 centimes. Ce n’est pas insurmontable à condition que le consommateur sache pourquoi, et n’ait pas l’impression d’être trompé. Sollicité comme il l’est par les messages publicitaires permanents, il est devenu dubitatif et peu enclin à faire confiance. Nous faisons cependant le pari que si le consommateur ordinaire a de bonnes raisons de payer un peu plus cher, il en est capable. Nous ne sommes plus dans le domaine de la pub, mais dans celui de la citoyenneté. Il ne faut pas sous estimer nos concitoyens. C’est là qu’intervient la responsabilité du consommateur, individuel et collectif. La restauration collective, qui relève en grande partie des élus locaux, a une responsabilité particulière car elle peut avoir un effet de levier.

Soyons clairs, la réorientation du modèle de production est une responsabilité partagée entre producteurs et consommateurs. Il faut que dans son acte de consommation, le consommateur valide les efforts qui auront été faits en amont. Ce n’est pas inné. Cela se construit en expliquant les enjeux et en mobilisant les organisations de producteurs, les associations, le territoire. C’est clairement de la responsabilité du politique. Il ne fera pas tout, mais il doit prendre une place qu’il a trop longtemps désertée en se déchargeant sur le pouvoir économique. Et il appartient aussi au monde associatif, qui alerte depuis longtemps sur les impasses économiques, environnementales et sociales du modèle agricole breton, de prendre sa part pour impulser et accompagner la nécessaire réorientation du modèle agricole.

La tri articulation sociale *

Le réseau Cohérence réunit producteurs, consommateurs et environnementalistes. Depuis une quinzaine d’années, il œuvre pour un développement durable et solidaire, pour une réorientation du modèle agricole breton. Nous savons que la responsabilité du mode actuel de production est une responsabilité partagée, qu’il serait injuste d’accuser les seuls agriculteurs.
Nous sommes tentés aussi d’accuser « les politiques ». Il est vrai que nos politiques, au nom de la sainte croissance, et des emplois, laissent le champ libre aux entreprises pour qu’elles se développent. Tout emploi est bon à prendre et mal venu serait le politique qui ergoterait sur l’utilité sociale de telle activité, les atteintes à l’environnement ou la précarité des emplois.
Nous avons acquis la conviction que l’on ne peut faire confiance aux seuls acteurs économiques, ni aux acteurs politiques. La société civile, au travers de ses multiples formes d’organisation, les associations, les syndicats, les clubs de pensée, etc… doit prendre une part active aux choix de société et à leur mise en œuvre.
Ceci nous fait dire que sur cette question concrète de l’avenir de la production régionale avicole, la responsabilité est partagée ente les acteurs économiques, les élus et le monde associatif. Mais il n’est pas encore dans les mœurs de travailler ensemble….

* en référence au livre de Nicanor Perlas (2003) : « La société civile, le 3ème pouvoir »

Pour conclure, si le repreneur de Doux poursuit l’activité selon le même modèle de production, certes il sauvera momentanément des emplois, mais il ne fera que prolonger un modèle dépassé, avec des aides publiques à fonds perdus. Le temps presse. Oui il faut un ou des repreneurs. Mais, simultanément il faut mobiliser tout un territoire – acteurs économiques, responsables politiques, monde associatif représentant la société civile – pour se frotter ensemble (ce sera rude !) et penser une nouvelle stratégie. Un modèle agricole se meurt, un autre demande à naitre. La transition, c’est maintenant.

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