APPEL contre la dénonciation d’élèves et d’enseignants au nom de la lutte contre le terrorisme

Nous avons appris sur les bancs de l’école que la France était le pays des droits de l’homme… et nous l’avons cru.
Or, suite aux très graves attentats que nous avons connus en ce début de janvier 2015 contre Charlie-Hebdo et le Commerce Casher Porte de Vincennes, et après avoir réaffirmé son attachement à la liberté d’expression et au refus de tous les racismes (antisémitisme, islamophobie), il nous semble que notre pays risque de plonger, au nom de la sécurité, dans une sorte d’hystérie collective… Sommes-nous bien dans le dit pays des droits de l’homme lorsque des enfants de 8 ou 10 ans sont amenés à la police sur signalement de directeurs d’écoles ou de parents d’élèves pour avoir tenu des propos provocateurs en faveur du terrorisme sans nécessairement en bien comprendre la portée ? Lorsque leurs parents sont amenés devant toutes les caméras à s’excuser et à proclamer leur attachement aux valeurs de le République ? Et quand des sanctions non ou mal étayées sont prononcées contre des enseignants, notamment pour avoir invité les élèves à débattre de ce sujet ?

La France est célèbre pour la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, signée en 1789, qui garantit la liberté d’expression : art. 10. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

Chers François, Manuel, quelles bêtises disiez-vous à 8 ans ? A partir de quel âge un enfant est-il considéré comme citoyen ? Si le droit de vote a été accordé en France à partir de 18 ans, un enfant de moins de 18 ans n’est pas encore un citoyen responsable de ses actes, mais a droit à une protection particulière en tant que mineur.

La Déclaration des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 20 novembre 1959, déclare en son préambule : « Considérant que l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuel, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après sa naissance » . Et selon son principe 2 : « L’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale et se voir accorder des possibilités et des facilités par l’effet de la loi et par d’autres moyens, afin d’être en mesure de se développer d’une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social dans des conditions de liberté et de dignité. ».

La Convention internationale des droits de l’enfant, signée par les Nations-Unies le 20 novembre 1989, admet des restrictions à la liberté d’expression, notamment nécessaires à la sauvegarde de la sécurité nationale et de l’ordre public. Mais elle précise en son article 12 la nécessité de prendre en compte la capacité de discernement de l’enfant : « Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en compte eu égard à son âge et à son degré de maturité. »

Une telle frénésie répressive ne fera qu’amplifier le sentiment de rejet et d’abandon qui était éprouvé par une partie de la population, déjà victime de discriminations en tout genre, aujourd’hui désignée comme a-priori suspecte de soutien à des fanatiques et comme nouveau bouc émissaire. Elle n’aidera pas au vivre ensemble, dans la tolérance et le respect des opinions et des religions des uns et des autres.

C’est pourquoi nous lançons un APPEL aux enseignants, aux responsables des établissements scolaires, aux parents d’élèves, aux autorités publiques, y compris au plus haut niveau, afin de refuser tout signalement, toute mise en cause d’élève mineur pour des propos pouvant être qualifiés d’appui ou d’appel au terrorisme, et toute sanction d’enseignant non sérieusement étayée.

La tâche de l’école, et les enseignants s’y emploient tous les jours en dépit de sa difficulté, est d’enseigner les valeurs de la République, et de permettre aux élèves de s’exprimer, de bénéficier des appuis et conseils nécessaires à la progression de leurs connaissances et libre arbitre, et à leur apprentissage de la démocratie, et des trois valeurs clés de notre République : liberté, égalité, fraternité.

Le 5 février 2015
Premiers signataires :
Philippe CORCUFF, maître de conférences de science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon et ancien chroniqueur de Charlie Hebdo de 2001 à 2004, Marc HATZFELD, sociologue et ethnologue, Evelyne PERRIN, membre du Conseil Scientifique d’ATTAC et de Solidaires…

Contact : evelyne.perrin6@wanadoo.fr

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