INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE ET NUCLÉAIRE

On entend souvent dire, par des dirigeants politiques favorables au nucléaire, que cette énergie est garantede notre indépendance énergétique. Cette affirmation serait justifiée par le fait que les approvisionnements en uranium sont diversifiés et que la France a la maîtrise technologique de l’ensemble de la chaîne de transformation de l’uranium en « combustible » et de son « retraitement »1.

Pourtant, aucune personne sensée n’oserait affirmer aujourd’hui que le pétrole brut assure notre indépendance énergétique grâce à des approvisionnements diversifiés et à notre maîtrise technologique, du transport, du raffinage et de la transformation des produits raffinés, en chaleur dans des chaudières, en force motrice dans des moteurs, en électricité dans des centrales thermiques, etc. Le pétrole importé n’assure pas notre indépendance énergétique, c’est une évidence.
Pour ce qui concerne l’énergie nucléaire et l’indépendance énergétique de la France, la réalité est bien 
différente de ce que certains prétendent. Quelle est cette réalité et quelles en sont les conséquences ?

Qu’appelle
ton indépendance énergétique, comment la mesureton, quelle est sa valeur actuelle ?

Selon l’INSEE, le taux d’indépendance énergétique d’un pays est le rapport entre sa production d’énergie 
primaire (chaleur générée par la fission nucléaire dans les réacteurs, charbon, pétrole, gaz naturel, hydraulique, énergies renouvelables) et sa consommation en énergie primaire. Ce taux est généralement indiqué pour une année et l’INSEE en fait le calcul en utilisant une convention datant de l’époque où l’uranium des réacteurs nucléaires provenait de mines françaises. Selon cette convention, la chaleur produite par la fission de l’uranium est une production nationale. C’est ainsi que l’INSEE indique un taux d’indépendance énergétique de la France de 55,5 % pour l’année 2020 2.
Pourtant, l’uraniu
m est entièrement importé, soit sous une forme (« yellow cake »3, hexafluorure d’uranium4uranium enrichi) qui nécessite des traitements complémentaires pour être utilisable dans les réacteurs, soit sous la forme d’assemblages de « combustibles » prêts à l’emploi 5.

En réalité, les seules sources d’énergie non importée qui contribuent à l’indépendance 
énergétique française sont les renouvelables et le peu de pétrole et de gaz extraits du soussol. En 2020, le taux d’indépendance énergétique réel, calculé avec les données Eurostat6, était de l’ordre de 13,5 %. On est bien loin de la valeur annoncée par l’INSEE.
La France est donc un pays très dépendant des importations d’énergies fossiles et d’uranium
. Tout comme l’industrie pétrolière, l’industrie nucléaire mondialisée et sous influence de pays guerriers comme la Russie, est une source de dépendance énergétique et géopolitique.

D’où vient l’uranium importé sous
forme de « yellow cake » ou sous d’autres formes ?

Selon un article du journ
al Le Monde7, l’uranium nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires françaises est importé en totalité depuis 2003. L’exploitation de la dernière mine d’uranium en France a cessé en 2001. En 2020, l’uranium a été importé pour près de 10 % d’Australie, 26 % d’Ouzbékistan, 35 % du Niger et près de 29 % du Kazakhstan. C’est donc 90 % de l’uranium importé en 2020 qui provenait de pays sous
infl
uence russe ou chinoise, depuis que la Chine est installée au Niger8 et que la milice proPoutine Wagner opère au Mali 9. Et 55 % de l’uranium importé en 2020 provenait du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan. Or, dans ces deux pays, selon Le Monde, « Moscou est en position de force 10 » et, selon Le Point, « la Russie et l’Ouzbékistan scellent leurs liens dans tous les domaines 11 ».

Selon un article du quotidien de l’écologie
Reporterre12, qui cite une note de l’ONG Greenpeace, « la France a importé 19 245 tonnes d’uranium naturel et 8 213 tonnes d’uranium enrichi de Russie entre 2000 et 2020 ».

Toujours selon
Reporterre (référence 3), l’usine ANF (Advanced Nuclear Fuels, filiale de Framatome) de Linden en Allemagne, alimentée en hexafluorure d’uranium par la Russie, livre des «assemblages combustibles » pour les réacteurs nucléaires français.

Quelle est notre dépendance énergétique au nucléaire ?
En 2020, l’électricité issue des centrales nucléaires et consommée en France a fourni 16
% de toutes les consommations finales d’énergie (celle que les consommateurs achètent sous forme de combustibles, de chaleur et d’électricité). Notre dépendance énergétique au nucléaire est donc de cet ordre et bien moindre que notre dépendance aux énergies fossiles, de l’ordre de 60 %. S’affranchir très rapidement de cette dépendance énergétique au nucléaire ne devrait donc pas constituer un obstacle insurmontable pour un pays technologiquement développé comme la France. L’Italie et l’Allemagne, qui ont choisi d’arrêter le nucléaire, ont une indépendance énergétique, avec ou sans énergies fossiles extraites de leur soussol, significativement plus élevée que celle de la France (voir annexe). Et ils ne dépendent plus d’importations d’uranium provenant de pays sous influence russe. L’Allemagne dispose en outre de mines et de centrales à charbon qu’elle peut utiliser de manière plus intense qu’actuellement en cas de nécessité.

La France peutelle résister longtemps aux aléas de fonctionnement des centrales nucléaires et aux mauvais choix de politique énergétique ?

Au cours de l’hiver 2021
2022, la puissance électrique maximale consommée,enregistrée le 14 janvier 2022 à 9 h 30, a été de 87 039 MW. Si les 56 réacteurs des centrales nucléaires françaises avaient été en état de fonctionner, ils auraient pu fournir 61 370 MW. Mais ce jourlà, 10 d’entre eux étaient complètement arrêtés et 6 autres à puissance réduite. Ceux qui étaient encore en état de marche ont alors fourni 48 585 MW. C’était
insuffisant pour l’équilibre du réseau. Heureusement, la France dispose encore de moyens de production 
« pilotables » et moins aléatoires que le nucléaire (centrales hydroélectriques de barrage, centrales à gaz, à charbon et à fioul) et de moyens de production au fil de l’eau, du soleil et du vent. Ils ont alors fourni 31 391 MW. Et d’autres moyens de production, dans les pays riverains de la France, ont fourni le solde (7 063 MW) indispensable pour passer la pointe de consommation.

L’approvisionnement électrique de la France est donc sous triple dépendance :

à de l’uranium entièrement importé de pays pour la plupart alliés à la Russie,
à des installations nucléaires de forte puissance vieillissantes, dont les indisponibilités sont de plus en plus fréquentes13, dont le fonctionnement est très aléatoire dans un monde incertain soumis aux « crises » (sanitaires, géopolitiques, guerres, attentats) et aux aléas climatiques,
aux importations d’électricité (essentiellement en provenance d’Allemagne) en période de pointes de consommation mais aussi hors de ces périodes lorsque plusieurs réacteurs nucléaires sont indisponibles.
Le recours important au chauffage électrique, générateur d’appels de puissance élevés en période froide 
(selon RTE, un degré de baisse de température extérieure augmente la puissance appelée sur le réseau de 2 400 MW), est un facteur aggravant de dépendance.
La guerre de Poutine en Ukraine devrait pousser le gouvernement français à revoir de toute urgence sa 
politique énergétique. Et il ne s’agit pas de faire la même erreur que celle commise dans les années 1970 au moment des « chocs pétroliers ». Il s’agit de s’affranchir du nucléaire, c’estàdire de technologies militaro– civiles qui provoquent des catastrophes d’ampleur mondiale, d’installations défaillantes, énergétiquement
inefficaces
, importatrices d’uranium, productrices d’effluents et déchets radioactifs ingérables et potentielles cibles militaires.

François Vallet
septembre 2022

Annexe : taux d’indépendance énergétique et autres indicateurs pour quelques pays d’Europe en 2020
Pays ou groupe de pays
                                        EU27 Allemagne Espagne France Italie
Efficacité énergétique (consommation finale
d’énergie/consommation d’énergies primaires).       64,2 % 67,6 % 61,2 % 57,1 % 71,5 %
Part des renouvelables dans la consommation
finale 
d’énergie.                                                       26,4 % 24,0 % 27,2 % 21,8 % 26,5 %
Indépendance énergétique (rapportée à la
consommation 
d’énergies primaires).                      28,9 % 28,4 % 17,1 % 13,5 % 26,2 %
Indépendance énergétique (rapportée à la
consommation 
finale d’énergie).                              45,0 % 42,0 % 28,0 % 23,7 % 36,6 %

Les indicateurs suivants ont été calculés à partir des statistiques énergétiques publiées par Eurostat.
Parmi les 4 pays examinés, et par rapport à la moyenne européenne (EU 27), c’est la France qui a le système 
énergétique le moins efficace, la plus faible part d’énergies renouvelables et le plus faible taux d’indépendance énergétique. De ce point de vue, c’est un des maillons faibles de l’Europe dans la situation de guerre aux frontières de l’Union européenne.

Pour assurer son approvisionnement énergétique, la France dépend non seulement de pays hors UE, de pays sous influence de la Russie pour l’uranium, mais aussi de ses voisins de l’UE pour assurer l’équilibre de son réseau électrique.

Pour illustrer la dépendance énergétique de la France, il suffit de comp
arer notre consommation d’énergies fossiles avec celle de l’Italie, pays qui n’a plus aucun réacteur nucléaire en fonctionnement et dont le nombre d’habitants est très proche (en 2020, 59,6 millions en Italie, 67,4 millions en France). En 2020 l’Italie a consommé 111,9 Mtep sous forme de charbon, de pétrole et de gaz, et la France 107,7. L’Italie par ailleurs augmente régulièrement la part des énergies renouvelables dans sa production d’électricité : de moins de 16 % en 1990, elle est passée à 39 % en 2019, alors que cette même année la France arrivait à peine à 20 %.

1 Réponse de la ministre de la transition énergétique, aux questions du député LFI Matthias Tavel, lors de son audition à l’Assemblée Nationale le 13 septembre 2022
https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12149243_63207c68b962b.commission-des-affaires-economiques–mme-agnes-pannier-runacher-ministre-de-la-transition-energeti-13-septembre-2022?timecode=3524020
2 Bilan énergétique de la France – Données annuelles de 2011 à 2020 – Chiffres-clés – Paru le : 24/12/2021


3 Concentré d’uranium sous forme de d’octaoxyde de triuranium U₃O₈.

4
https://reporterre.net/L-encombrante-livraison-d-uranium-russe-a-l-Europe
5
https://fr.wikipedia.org/wiki/Usine_Framatome_de_Lingen
6
https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/energy/data/energy-balances
7 L’indépendance énergétique de la France grâce au nucléaire : un tour de passe-passe statistique

8 Uranium : une société chinoise va lancer de nouvelles prospections au Niger Reporterre 10 octobre 2018


Niger : la ville d’Arlit perd une mine d’uranium et plus de 600 emplois France Info Afrique 18 mars 2021


9 Avancées russes sur le continent africain : l’UE doitelle s’en inquiéter ? – RTBF 20 février 2022

https://www.rtbf.be/article/avancees-russes-sur-le-continent-africain-lue-doit-elle-sen-inquieter-10935681

10 Moscou en position de force au Kazakhstan

https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/08/entre-le-kazakhstan-et-la-russie-une-relation-ambivalente_6108655_3210.html

11
https://www.lepoint.fr/monde/la-russie-et-l-ouzbekistan-scellent-leurs-liens-dans-tous-les-domaines-19-10-2018-2264208_24.php
12
https://reporterre.net/En-pleine-guerre-la-France-recoit-de-l-uranium-russe
13 EN 2020, selon le World Nuclear Industry Status Report de 2021 (pages 87 à 89), l’indisponibilité totale des réacteurs nucléaires a été de l’ordre de 32 %, avec 10 réacteurs complètement arrêtés toute l’année

https://www.worldnuclearreport.org/IMG/pdf/wnisr2021-lr.pd

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