Les EPR d’Hinkey Point : Un cocorico ruineux pour le Royaume Uni et en France pour le service public

PAR BENJAMIN DESSUS

En annonçant que l’accord entre EDF et le gouvernement anglais pour la construction de deux EPR était enfin trouvé grâce à la participation de deux entreprises chinoises du nucléaire, le Monde du 21 octobre dernier indiquait, comme si c’était le rappel d’une évidence connue depuis toujours, que le montant total de l’investissement atteignait 33 milliards € et non plus 24 milliards € pour les deux réacteurs EPR de Hinkley Point dont le démarrage est prévu en 2025.  Ah oui nous dit on maintenant, il faut ajouter aux chiffres qu’avaient annoncés EDF les frais financiers de l’opération qui sont très importants vu le délai de 10 an qui va s ‘écouler, si tout va bien, entre le démarrage du chantier et la mise en route des réacteurs. 16,5 miliards d’€ par réacteur donc pour une puissance de 1650 MW, enfin un chiffre rond de bon aloi : 10000 € le kW, 5 fois plus cher que l’estimation initiale d’investissement du kW de l’EPR donnée par EDF en 2006 à la veille du démarrage du chantier de Flamanville, 7 fois plus cher que l’investissement d’une éolienne terrestre (frais financiers compris) ou 12 fois plus cher que celui d’une turbine à gaz…
En écrivant il y a 9 mois sur mon blog en conclusion de «  Fastoche le facteur 4 » « encore un petit effort, nous y arriverons à ce fameux facteur 4, non pas comme on l’imaginait naïvement sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais sur le coût du nucléaire et peut être même bien avant 2040 ! »je faisais preuve une fois de plus d’une coupable naïveté aussi bien sur le facteur que sur le délai…
Mais me direz vous ce n’est pas grave puisque le gouvernement anglais est prêt à acheter à partir de 2025 et jusqu’en 2060 le courant d’Hinkley Point à 126€/MWh, un tarif trois plus élevé que celui du marché de gros européen actuel. Pourquoi le font ils ? Après tout c’est leur affaire. Peut être accordent ils une importance particulière à l’idée de pouvoir disposer de 3,2 GW  et donc de 25 TWh d’électricité de base pour pallier la panne éventuelle de vent sur l’ensemble du parc éolien qui, si l’on en croit leur programme, devrait dépasser 50 GW  en 2025 dont une grosse part en mer où le vent est beaucoup plus régulier qu’à terre[1]. Par contre il est clair que ces parcs éoliens, quand ils produiront à pleine puissance à des coûts marginaux quasiment nuls (voire négatifs) vont rendre l’achat du courant d’Hinkley Point particulièrement onéreux pour le réseau du Royaume – Uni. Le fonctionnement en base du nucléaire présenté comme un avantage par les zélateurs d’Hinkley Point deviendra alors un véritable boulet. Dans un système de production  d’électricité où les moyens intermittents prennent de l’importance, ce n’est plus d’électricité de base dont on a un impérieux besoin, mais de moyens de pointe capables d’apporter la puissance nécessaire pendant les laps de temps (quelques heurs à quelques jours) où la météo est vraiment défavorable sur l’ensemble de la région considérée.  Et le nucléaire est particulièrement mal armé pour répondre à ce type de demande.
Pour préciser l’ampleur du désastre attendu revenons à l’économie du système. Plaçons nous dans l’hypothèse la plus favorable où pendant les 35 ans prévus par le contrat les deux EPR  auraient le bon goût de fonctionner 8000 heures par an comme prévu sur le papier, sans aucune panne.
 
Pour le coût d’investissement qui ressort du contrat signé (10000€/KW),  le coût courant économique calculé selon la méthode et les paramètres financiers préconisés par la Cour des comptes[2] atteindrait 127€/MWh (dont 105 de remboursement de l’investissement initial). L’opération serait donc au mieux neutre pour EDF jusqu’en 2060. Ce n’est qu’après 2060 qu’EDF et ses partenaires pourraient donc songer à engranger des bénéfices. Si la durée de vie de l’EPR atteint 60 ans comme l’affirme EDF,  le coût du MWh « tomberait » à 120€, dégageant une toute petite marge annuelle au producteur, marge bien fragile puisqu’elle serait très vite remise en cause par la moindre anicroche de fonctionnement  ou le moindre aléa de maintenance : si la durée d’appel tombe à 7500 h/an le coût repasse à 128/MWh et monte à 145€/MWh si elle rejoint celle du parc français actuel[3]…
Equation économique pour le moins risquée pour EDF et catastrophe économique à peu près sûre pour le Royaume Uni.
Alors comment comprendre cette décision ? Il s’agit, nous dit-on, de sauver la maison France à l’exportation puisque ce premier contrat va sûrement faire des petits. Oui mais quand et où  dans un contexte où le nucléaire perd chaque jour des points dans le marché mondial de la production d’électricité ? Sa part dans la production mondiale d’électricité est passée de plus de 15% à moins de 11% depuis 10 ans
Et puis, dans  l’affaire d’Hincley Point, les chinois qui sont en train de nous montrer qu’ils savent très bien se débrouiller tout seuls pour construire leurs propres réacteurs mettent un pied en Europe et se placent donc sur un marché déjà bien limité…
Enfin les clients potentiels, s’il en existe encore, échaudés par l’expérience désastreuse de Flamanville et d’Olkiluoto risquent fort d’attendre de voir comment se passe le chantier d’Hinkley Point avant de se lancer dans l’aventure, même si EDF leur promet des réductions de prix de 20 à 30%.
Pendant ce temps l’éolien et le photovoltaïque voient leur coût diminuer à grande allure et les réseaux intelligents se développer. En 2025-2030, les moyens de production très centralisés d’électricité en base comme le nucléaire ou les grosses centrales à charbon ont toutes chances d’apparaître comme un véritable anachronisme.
Reste EDF et son PDG qui droit dans ses bottes persiste et signe : il annonce tranquillement [4] que la France va construire une quarantaine d’EPR de « nouvelle génération » (encore meilleurs que les précédents qui n’existent pas encore ?) à partir de 2028  au rythme de deux par an et maintenir ainsi pour le siècle qui vient la sacro sainte puissance de 64 GW nucléaire de la France. Aux successeurs de Ségolène Royal  de continuer à subventionner à coûts de milliers d’euros les véhicules électriques et autres pompes à chaleur pour arriver à consommer suffisamment de cette électricité fatale pour respecter la règle des 50% de nucléaire…
 
Dans l’immédiat, pour les citoyens français dont on rappelle qu’ils sont propriétaires de 85% du capital d’EDF, cette dépense de plus de 20 milliards d’euros (les 2/3 du total de l’investissement d’Hinkley Point) apparaît d’autant plus absurde qu’il suffirait de consacrer la moitié de cet argent, sous forme d’aide au renouvellement anticipé d’appareils électroménagers ou de chauffage domestique et tertiaire et de moteurs efficaces dans l’industrie, pour économiser sans peine en 2015 une soixantaine de TWh, à des coûts par MWh économisé 5 fois moins importants, en fidélisant ses clients et sans prendre de risque inconsidéré. 
Mais pour cela il faudrait un Etat actionnaire animé d’un minimum de sens du service public, et  des corps d’Etat qui sortent de leur consanguinité avec un lobby nucléaire dépassé par les événements .
Il faudrait aussi qu’EDF et les pouvoirs publics admettent enfin leurs erreurs de jugement et ne continuent pas à s’enferrer dans des choix de plus en plus risqués, aussi bien pour les clients étrangers d’EDF que pour les usagers français qu’elle est supposée servir au mieux de leurs intérêts et de la collectivité nationale.
Sans même compter le risque majeur de voir l’autorité de sûreté française refuser l’agrément  de la cuve de Flamanville qui  remettrait en cause ce château de cartes déjà bien branlant.
 

[1] Alors que le nombre d’heures de fonctionnement équivalent pleine puissance d’une éolienne terrestre  neatteint rarement plus de 2200 heures au Royaume Uni, il peut dépasser 3000 heures en mer.
[2] Taux de rémunération du capital 7,8% , taux d’actualisation 5%,  voir « Le coût de production de l’électricité nucléaire actualisation 2014, Cour des comptes »
[3] En France en 2014 la durée d’appel aux centrales nucléaires n’a pas dépassé 6600 heures
[4]  voir par ex « EDF n’est pas prêt à sortir du nucléaire en France » Le Monde 23 octobre

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