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En renonçant à soutenir fortement le secteur, les décideurs politiques français et européens créent les conditions d'une insécurité économique pour les futurs candidats à la transition agro-environnementale.
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L'agriculture biologique est bien plus ambitieuse qu'une «agriculture sans chimie de synthèse» ; il s'agit d'une transformation profonde des bases de l'agronomie. Mise en oeuvre depuis des décennies par des millions de paysans et de paysannes à travers le monde, parfois sous le terme «d'agroécologie paysanne», elle réconcilie sociétés, paysans, environnement, animaux et territoires, et a depuis longtemps fait la preuve de ses performances. Comme l'attestent de récentes études, elle pourra sans aucune difficulté nourrir l'humanité en 2050 (1), et d'ailleurs bien mieux que n'y parvient l'actuelle agriculture conventionnelle qui laisse tous les ans 15% de l'humanité souffrir de la faim.
Les citoyen·ne·s ne s'y trompent pas et la plébiscitent. Un sondage Ifop montrait en 2017 que 86% des Français·es souhaitent l'interdiction à terme des pesticides de synthèse. Le marché des produits biologiques connaît depuis vingt ans en France une croissance annuelle à deux chiffres, avec par exemple +17% en 2017. Les agriculteurs admettent également de plus en plus la nécessité d'un profond changement de pratiques. Malgré le désengagement de l'Etat et l'insécurité psychologique et financière qui en découle, 6 000 nouvelles fermes se sont converties en 2018.
Insécurisation des agriculteurs biologiques
Il ne s'agit pas d'un effet de mode. Citoyen·ne·s comme paysan·ne·s sont de plus en plus informé·e·s sur les désastres écologiques en cours, et comprennent que l'agriculture biologique est la meilleure réponse à y apporter. Elle atténue les émissions agricoles de gaz à effet de serre et permet de s'adapter en permanence aux évolutions climatiques déjà engagées. C'est également le seul mode de production qui restaure totalement les écosystèmes, par la suppression des pesticides de synthèse et la reconstitution de milieux de vie.
Paradoxalement, c'est au moment où l'agriculture biologique et paysanne devrait devenir l'horizon de l'agriculture française que les politiques publiques françaises semblent s'en désengager. L'objectif institutionnel de 15 % des surfaces n'est que le décalque du scénario tendanciel : il ne consacre pas une ambition mais prend acte d'une dynamique inéluctable. Au contraire, le gouvernement a mis fin en 2017 à la rémunération légitime des agriculteurs biologiques certifiés. Elle n'était pourtant qu'une valorisation nécessaire des pratiques biologiques, qui font économiser à la société des sommes considérablement plus importantes que les aides allouées (dépollution de l'eau, frais de santé, etc.).
Demander à la bio d'être «rémunérée uniquement par le marché» est l'aveu d'une inquiétante ignorance des mécanismes de distorsions de concurrence qui font que le prix n'a aucun rapport avec le coût de production. S'il faut prendre cette profession de foi au mot, demandons alors à tous les agriculteurs français de rendre les subventions qu'ils ont reçues depuis quarante ans ! L'insécurisation des agriculteurs biologiques se poursuit avec un invraisemblable retard de paiement des aides dues depuis 2016. A ce jour, près de 20 000 agriculteurs n'ont encore pas reçu les aides environnementales dues pour 2016 et 2017. En conséquence, des milliers d'entre eux ont dû souscrire un emprunt pour pallier ce retard de trésorerie, et plusieurs dizaines sont sur le point de mettre la clef sous la porte. Les agriculteurs ayant choisi un mode de production performant, dynamique et à la pointe des combats du siècle (climat, biodiversité, santé) se retrouvent en danger de mort économique. C'est tout à la fois ubuesque et scandaleux. Le président de la République s'est engagé à ce que ces retards soient soldés avant la fin du printemps : nous espérons que cette promesse sera tenue.
Réalités agronomiques ignorées
Pire encore, le président de la République et le ministre de l'Agriculture ont évoqué leur souhait de réduire de cinq à trois ans la durée de paiement des aides soutenant la «conversion». C'est ignorer les réalités agronomiques et économiques, c'est ignorer qu'une transition technique demande du temps et du soutien. En créant de l'insécurité, en effrayant les futurs candidats à la transition, le gouvernement semble tout faire pour ralentir la dynamique de l'agriculture biologique. Nous demandons un changement de cap pour l'agriculture française.
Il s'agit d'abord de payer immédiatement les mesures agro-environnementales en souffrance depuis trois ans, ensuite de restaurer une rémunération pérenne des pratiques bio, au moyen d'un «paiement des services environnementaux» (PSE) de l'agriculture biologique à instaurer dans la prochaine Politique agricole commune, de renforcer l'enseignement de la bio en tant que démarche scientifique d'agroécologie paysanne, et enfin de donner aux organisations d'agriculture biologique les moyens d'assurer l'accompagnement technique et économique des nouveaux arrivants.
L'argent existe : il convient simplement de transférer les budgets existants. L'économie des filières natives énonce que les moyens doivent être à la hauteur de l'objectif et non pas du point de départ. Les deux dernières majorités ont validé l'objectif de 15% des surfaces françaises en bio en 2022 ? Chiche ! Il faut donc, impérativement, consacrer dès à présent 15% des budgets agricoles à l'agriculture biologique.
Monsieur le président de la République, monsieur le ministre de l'Agriculture, serez-vous à la hauteur des défis du XXIe siècle ?
(1) Voir à ce titre l'étude européenne TYFA (Ten Years for Agroecology in Europe), de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Signataires
Jacques Caplat, agronome, secrétaire général d'Agir Pour l'Environnement ; Guillaume Riou, président de la Fédération Nationale d'Agriculture Biologique ; Eliane Anglaret, présidente de Nature & Progrès ; Patrick Lespagnol, président du Mouvement de l'Agriculture Bio-Dynamique ; Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne ; Frank Alétru, président du Syndicat National d'Apiculture ; Arnaud Apoteker, délégué général de Justice Pesticides ; Clotilde Bato, déléguée générale SOL Alternatives Agroécologiques et Solidaires ; Guillaume Bodin, vigneron-cinéaste engagé pour une agriculture vertueuse ; Alain Bonnec, président d'Eaux et Rivières de Bretagne ; Elisabeth Carbone, secrétaire générale du MIRAMAP ; Gilles Daveau, cuisinier, formateur, auteur ; Philippe Desbrosses, pionnier de l'agriculture biologique, docteur en sciences de l'environnement ; Marc Dufumier, agronome, professeur honoraire AgroParisTech et Président de Commerce Equitable France ; Perrine Hervé-Gruyer, Ferme du Bec Hellouin ; Gilles Lanio, président de l'Union Nationale de l'Apiculture Française ; Jacques Loyat, commission agriculture d'ATTAC France ; Véronique Moreira, présidente du WECF ; Julie Potier, déléguée générale de Bioconsom'acteurs ; Jean-Christophe Robert, cofondateur de l'association Filière Paysanne ; Béatrice Robrolle, présidente & fondatrice de Terres d'abeilles ; Olivier Roellinger, cuisinier, Maisons de Bricourt ; Maxime de Rostolan, fondateur de Fermes d'Avenir et de La bascule ; François Veillerette, directeur de Générations Futures ; Françoise Vernet, présidente de Terre & Humanisme
 
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