Durée de vie des centrales en France et projets d’EDF en Grande-Bretagne : autopsie d’un double enfumage médiatique

Deux prétendues “informations” ont été diffusées ce week-end et reprises dans un bel ensemble par la plupart des médias français. En réalité, il s’agit de purs effets d’annonce qui ne résistent que quelques instants à l’étude des données réelles.

Ainsi, loins d’avoir franchi une “étape décisive”, les projets d’EDF de construction de centrales nucléaires en Grande-Bretagne viennent au contraire de subir une lourde déconvenue qui les condamne probablement à ne jamais voir le jour.

De même, l’annonce de la prolongation de 40 à 50 ans de la durée de vie des réacteurs nucléaires français relève de la pure fiction, tant sur le plan administratif que matériel.

1) Projets d’EDF de construction de centrales nucléaires en Grande-Bretagne

C’est l’AFP qui lancé les grandes manoeuvres samedi 12 octobre à 11h31 avec une dépêche titrée “Grande-Bretagne/Nucléaire: EDF et le gouvernement proches d’un accord“, se basant sur une simple rumeur transformée en “information” par le Wall Street Journal. Voilà qui suffit à faire un bel effet d’annonce repris un peu partout dans les médias français, certains allant pratiquement jusqu’à laisser croire au début des travaux (cf http://bit.ly/1akiz40 ).

Pour mémoire, EDF et le gouvernement de Grande-Bretagne sont “proches d’un accord”. depuis des années (cf http://observ.nucleaire.free.fr/edf-desinf-GB.htm ). Mais le plus important, que les médias français “oublient” totalement de signaler, est encore ailleurs : quand bien même ce fameux accord serait enfin mis au point et signé par les deux parties, on serait toujours très loin de le voir mis en ouvre.

Au contraire, le 8 octobre, une information (vraie celle-là) et cruciale est venue porter un coup pratiquement mortel aux projets nucléaires d’EDF en Grande-Bretagne. Hélas pour les citoyens français, l’AFP ne lit que le Wall Street Journal et pas le Financial Times (cf http://on.ft.com/1bR7YnP et ci-dessous).

Si c’était le cas, l’Agence France “Presque” aurait découvert que les dirigeants pronucléaires de divers pays européens, emmenés bien entendu par les Français et les Britannique, ont subi un revers décisif. Sous prétexte que l’industrie nucléaire émet relativement peu de co2 (il est vrai qu’elle se “contente” de rejets radioactifs et de déchets nucléaires), ils espéraient amener la Commission européenne à évaluer les aides publiques au nucléaire avec les mêmes critères que pour celles attribuées aux énergies renouvelables.

Or, grâce à l’Allemagne, appuyée par divers pays opposés au nucléaire comme l’Autriche, cette offensive a été repoussée. Conséquence directe : le fameux accord EDF/Londres, s’il voit vraiment le jour (*), sera évalué par la Commission européenne avec les critères actuels et, nous l’avons déjà annoncé à de nombreuses reprises (cf http://observ.nucleaire.free.fr/revue-presse-hebdo.htm ), il est quasiment certain qu’il sera annulé par Bruxelles.

En effet, la production d’électricité par des centrales nucléaires est une activité tellement déficitaire qu’elle nécessite de lourdes subventions publiques, inconciliables avec les règles européennes de la fameuse “concurrence libre et non faussée” qui, pour une fois, devrait avoir un effet positif.

En conclusion, la plupart des médias français annoncent un grand succès pour l’atome hexagonal. alors que se profile, au contraire, une débâcle encore plus cinglante que celle qui est en cours aux USA (cf http://observ.nucleaire.free.fr/rev-presse-2013-07.htm ). Ces médias feraient mieux de faire leur travail en enquêtant sur la facture totale des investissements insensés consentis par EDF en 2008 pour construire en Grande-Bretagne et aux USA des réacteurs nucléaires. qui ne verront jamais le jour.

Nous étions bien seul, à l’époque, à dénoncer ces véritables délires et à prévoir de lourdes déconvenues. Certains éditorialistes, qui glorifiaient de véritables “triomphes nucléaires” d’EDF, continuent encore aujourd’hui leur mauvaise désinformation, comme si de rien n’était.

Notons enfin le ridicule de l’affaire : aucun pays n’ayant l’intention d’acheter des réacteurs français EPR, EDF a racheté des opérateurs à l’étranger dans l’idée de faire elle-même les commandes d’EPR. La France qui tente (vainement) de vendre des réacteurs à la France, encore un grand “succès” de l’atome gaulois…

2) Annonce du fonctionnement des centrales nucléaires “françaises” jusqu’à 50 ans

Cette fois-ci, c’est le JDD qui a estimé indispensable de relayer des rumeurs et autres bavardages, sous la forme d’un article au titre laissant peu de place au doute : “L’État va prolonger le nucléaire de dix ans

Cette prétendue information est “attestée” par de mystérieuses “sources” dites “proches du gouvernement” ou “proches de l’administration” (on a échappé miraculeusement à la célèbre source “proche du dossier”).

En réalité, cette “information” est totalement erronée sur le plan juridique, mais aussi sur le plan matériel (c’est-à-dire par rapport à l’état déplorable de la plupart des réacteurs “français”).

Juridiquement, seule l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) – et non le gouvernement – est habilitée à autoriser EDF à faire fonctionner des réacteurs. Or l’ASN a seulement commencé à étudier au cas par cas la capacité des réacteurs “français” à fonctionner au-delà de 30 ans.

Nous ne donnons que peu de crédit à cette instance dont nous avons déjà contesté la prétendue “indépendance” (cf http://observ.nucleaire.free.fr/deconstruire-mythe-lacoste.htm ), et qui a déjà accordé à certains centrales – dont celle de Fessenheim, pourtant vétuste – l’autorisation d’aller au-delà de 30 ans

Pour autant, si les dirigeants de l’ASN semblent prêts à prendre le risque d’une catastrophe nucléaire, ils ne semblent pas totalement décidés à laisser ce risque se transformer en certitude absolue. En clair, c’est ok pour “tenter le coup” jusqu’à 40 ans, mais pas forcément au-delà.

Ainsi, interviewé le 2 octobre par l’Usine nouvelle, le Président de l’ASN, Pierre-Franck Chevet, parle pour l’après 40 ans de “terra incognita” : tel les médecins du 17ème siècle, si bien raillés par Molière, M. Chevet utilise le latin pour masquer son ignorance. Heureusement, l’Observatoire du nucléaire est en mesure de révéler la traduction de la sentence : “terre inconnue”.

Ce distingué latiniste utilise parfois le français puisqu’il précise : “Pour l’instant, c’est un très gros point d’interrogation (.) il est urgent de prendre des décisions dès maintenant, en considérant que les réacteurs pourraient ne pas aller au-delà de 40 ans”.

Mais ce n’est pas tout : même si l’ASN finit par se soumettre une nouvelle fois aux exigences d’EDF, il faut aussi tenir compte de l’état réel des réacteurs. Vous avez probablement noté que nous mettions des guillemets en parlant de réacteurs “français”, car ils sont en réalité. américains : au début des années 70, EDF a payé fort cher les licences d’exploitation au constructeur Westinghouse (cf http://observ.nucleaire.free.fr/nucleaire-francais-citrouille.htm ). Les 58 réacteurs qui jonchent le territoire français sont de fait parfaitement comparables à la plupart des réacteurs des USA.

Il est donc édifiant de constater que le réacteur de Kewaunee (Wisconsin), mis en service par Westinghouse en 1974, a définitivement cessé de fonctionner le 7 mai dernier, avant même d’atteindre l’âge de 40 ans (cf http://www.world-nuclear-news.org/C-Kewaunee_enters_retirement-0705134.html ). Or ce réacteur venait d’obtenir de la NRC (l’ASN américaine). l’autorisation de fonctionner 20 ans de plus !

Considérant le coût exorbitant des rénovations et de l’entretien de ce réacteur, et ayant échoué à trouver un repreneur (autant dire un “pigeon”), le propriétaire Dominion a tout simplement mis un terme définitif à la carrière du réacteur, et ce malgré la prolongation de 20 ans de sa durée de vie.

C’est le même destin qui attend la plupart des réacteurs “français”, quand bien même l’ASN serait aussi irresponsable que la NRC. Voilà donc qui permet de lire avec un regard amusé les délires des médias qui célèbrent ces jours-ci la prolongation par EDF de la durée de vie de ses réacteurs “jusqu’à 50 ans”.

Stéphane Lhomme
Observatoire du nucléaire

(*) Ce qui est possible au vu des surprenants moyens utilisés par EDF, qui relèvent de la corruption au moins moralement si ce n’est juridiquement : à la fin des années 2000, pour arriver à ses fins, EDF a embauché à prix d’or ( avec l’argent de nos factures d’électricité…) le frère de Gordon Brown puis John Hutton, le ministre de l’économie britannique qui avait lancé le projet de nouveau parc nucléaire et supervisé la vente de British energy… à EDF (http://bit.ly/LefiY6 ).

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Financial Times, 9 October 2013
By Alex Barker and Joshua Chaffin in Brussels

Blow to nuclear projects as Brussels drops plan for subsidy rules

Nuclear power projects in Europe face a legally uncertain future after Brussels heeded German concerns and ditched plans to issue specific guidelines on permitted state subsidies.

In a blow to the UK, France and countries in central and eastern Europe eyeing new nuclear programmes, the European Commission decided informally on Tuesday to carry on investigating programmes on a case-by-case basis.

This puts Britain in the uneasy position of acting as a test case for EU public subsidy rules on the next generation of nuclear plants when it seeks clearance from Brussels in the coming months.
The UK is offering various support mechanisms, including a guaranteed price for nuclear power and a financing “guarantee”, to entice the private sector into building a series of nuclear reactors.
The UK Treasury is locked in talks with EDF, the French energy group, over a price mechanism for energy from its proposed reactor at Hinkley Point in southwest England.

Brussels issued separate state-aid guidelines governing renewable forms of energy, as well as energy efficiency projects, in 2008. Joaquín Almunia, the EU competition commissioner, considered extending these to the nuclear sector under a broader review of the regime for policing state subsidies.

The potential advantages included setting clear, transparent terms for projects and laying out detailed information on requirements from member states, so that individual commission decisions are less vulnerable to political pressure.
However, the idea sparked a fierce backlash from environmental groups and anti-nuclear campaigners, who argued the step would weaken EU rules and effectively give a green light to state-backed nuclear investment. Germany and Austria were strongly opposed.

At Tuesday’s closed door meeting of EU commissioners, Mr Almunia opted to advise against separate guidelines, a position supported by a vast majority in the room.

“This simply means that state aid notifications by member states will continue to be assessed directly under treaty rules and the standard in this field will be determined by the commission’s case practice,” a commission spokesperson added.
The separate guidelines for renewables were necessitated by the EU’s broader policy goals. The bloc has set a binding target, for example, of generating 20 per cent of its power from renewable sources – such as wind and solar power – by 2020.

The state aid guidelines – along with the binding targets – have been credited with making it more straightforward for governments in Germany, Italy and Spain, in particular, to implement a regime of subsidies and tax breaks that have helped such technologies to flourish across the continent.
Those subsidies have since became a source of controversy, with Europe’s biggest utilities arguing that they have distorted the continent’s energy market and contributed to higher prices for consumers and more – not less – carbon pollution.

Proponents of nuclear power have long argued in the corridors of Brussels that it should be entitled to similar treatment because it is also a “low-carbon technology” that serves the EU’s goal of reducing greenhouse gas emissions.

A British diplomat said the government did not believe the commission’s position represented a “block to new nuclear plans” and noted that it was already possible to apply for state aid for them. “These draft guidelines will, in any case, be consulted upon,” the diplomat added, hinting at the long road ahead before the commission issues a proposal next year.

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