Immigrés (4). La quête d’un fils

Fils d’immigré. Daniel Boullonnois le revendique, même si c’est une histoire que l’on ne racontait pas dans la famille. Le Fouesnantais a entrepris, la retraite venue, de remonter le fil de son hérédité polonaise, découvrant, il y a encore quelques jours, des parentés jusqu’aux États-Unis. Retour vers une terre martyre, aux confins de la Pologne et de l’Ukraine. Une terre d’exil.

Daniel Boullonnois

Daniel nous a donné rendez-vous dans un petit bureau à l’étage de sa maison de Fouesnant. C’est ici qu’il mène une quête intime parfois difficile à partager. « Ce que j’ai en moi de polonais ? » Il prend le temps. « Ma mère. Tout est basé sur elle ». « Mon côté slave, c’est savoir encaisser les coups durs et aussi avoir le sens de la fête et des bonnes tables ». Voilà des qualités qui lui ont été utiles. Car Daniel Boullonnois, 70 ans, a dû persévérer pour remonter l’histoire de ses origines polonaises. « Il n’y a eu aucune transmission familiale, dit-il. Ma mère parlait le français sans accent. Ses origines sont passées inaperçues. À son enterrement en 2003, j’ai raconté sa vie à l’église. À la sortie, des voisins, des anciens du village sont venus me dire qu’ils ignoraient qu’elle était polonaise ». « Moi-même à l’école, je n’étais pas le polak car je m’appelais Boullonnois, mon père était Français ». Alicja Stoklosa, né en 1920 en Galicie orientale dans une Pologne tout juste redécoupée, arrivée en France en 1924, est devenue en 1939, Alice Boullonnois en épousant Georges. Alice est une des premières filles de la grande communauté immigrée polonaise dans le Nord et en Picardie, à se marier hors de celle-ci. Née en Pologne de parents étrangers, elle sera au préalable naturalisée. La vie conduira la famille à Saint-Mard, en Seine-et-Marne où le père sera salarié agricole pendant 35 ans. « Le bonheur ouvrier simple, sans dette, sans emprunt… Tout le modernisme nous arrivait dessus : électricité, eau potable, réfrigérateur, TV, cocotte-minute, vélo puis mobylette puis voiture… », écrit dans un mémoire Daniel, qui a un frère aîné et un cadet.


« Il fallait oublier »


« Mais notre petit secret familial était aussi de se ressourcer en partant en car, le dimanche matin, à Borest dans l’Oise, où les grands-parents Stoklosa recevaient leurs enfants et petits-enfants dans l’immense ferme dont ils étaient les gardiens ». C’est là au sein de la famille élargie que Daniel apprendra ses seuls mots polonais, « des gros mots ». « Tous les enfants des Stoklosa parlent polonais lors de ces repas familiaux mais je ne connais pas un jeune de ma génération dans la famille qui parle polonais. Pourtant, dans l’Oise, il y avait des villages où 50 % des habitants étaient Polonais ». Les chiffres de l’immigration polonaise dans ce nord-est de la France le confirment. Entre 1920 et 1930, il y aura certaines années plus de 50.000 migrants polonais qui s’installent en France, dans le Nord pour travailler dans les mines et en Picardie dans les grandes fermes céréalières. « Ils étaient mal acceptés. Il y avait souvent des bagarres entre Français et Polonais », dit Daniel. « Il fallait oublier les origines. Ma mère n’a pas voulu transmettre. Quelque chose ne passait pas. Les Polonais voulaient juste se faire petits ». Alice ne retournera jamais de sa vie dans le pays de sa naissance. 

La boîte aux souvenirs


La quête du fils a commencé par une petite boîte renfermant quelques papiers et photos de son grand-père Pierre Stoklosa et conservé par sa mère. En 2003, au décès de celle-ci, l’heure est venue pour Daniel d’ouvrir le livre des souvenirs. Il découvre, parmi les papiers, que son grand-père a fait la guerre 14-18 du côté autrichien, donc allemand. « Sur un petit pendentif d’identification il y avait en allemand le nom “Stoklosa Peter”, le grade “Korporal”, sa province “Galizien”, sa religion “Rom Katholik” une adresse à Olesyzce. Le choc est grand alors que Daniel, comme tous ceux de sa génération, a été élevé dans la critique du « boche ». « Avant ce jour de 2003, je n’avais que des informations floues sur le passé de mon grand-père qui est arrivé seul en 1923 dans l’Oise avant de faire venir, l’année suivante, son épouse Marya et ses deux enfants, Alicja et Joseph », dit-il. Il est temps de retourner au pays.

Ronan Larvor
© Le Télégramme

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3 réflexions au sujet de « Immigrés (4). La quête d’un fils »

  1. Emouvante histoire, je porte moi_aussi un nom polonais. Il faut lire beaucoup de bons livres d’histoire, je vous conseille Histoire de la Pologne par Norman Davies.

    Ma grand-mère était belge, très blonde aux yeux bleus, on la traite de ” boche” c’est pourquoi j’ai appris son histoire qu’après sa mort. Quel gâchis !

    Alors à l’heure actuelle, je m’occupe d’aider les étrangers en France.

  2. merci d’avoir relayé cette belle histoire, cela fait un bien fou de savoir que certains d’entre nous dans leur sphère personnelle ont le courage de se questionner, questionnent leur histoire familiale et leur passé sans esprit de revanche et sans colère,et se reconciliant avec eux meme, avec leur histoire familiale, ses non dits et ses secrets, contribuent à renforcer tout ce qui constitue notre ossature commune, notre tissu collectif et a produit notre réalité d’aujourd’hui avec toutes ses différences. Cette histoire est touchante parce qu’au delà de la spécifité de l’immigration, elle raconte tellement d’autres vies dans ce pays qui sans être venus de très loin ou de l’étranger, se sont retrouvées enfermées dans un secret ou une exclusion sociale, comme par exemple les enfants nés sous X, ou ceux nés pendant l’occupation allemande de femmes françaises, que de nombreuses familles allemandes ont cherché à retrouver, parce l’amour est plus fort que les frontières et transcende tous les obstacles.- voir ce qu’en dit Bernard Maris dans son livre “et si on aimait la France”, et ce qu’il dit aussi de sa scolarité au milieu des enfants espagnols, italiens, polonais de sa classe, un livre acheté en 2015, lu cette semaine, tellement actuel – . Et j’ai reconnu aussi la volonté de ne pas transmettre sa langue et sa culture, commune à sa mère polonaise et à ma mère bretonnante s’interdisant de nous apprendre le breton, et le désir de “se faire tout petits” pour passer inaperçu. Lire cet article fait partie des choses qui m’ont donné espoir pour l’année qui vient, et du courage pour affronter les tabous et les jugements hâtifs qui nuisent à la sincérité et à la vérité. Merci à Daniel Boullounois qui à sa manière a rendu leur honneur à ses proches et nous le rend aussi à nous, et nous en avons bien besoin en ce moment. Tous mes voeux de bonheur pour 2018.

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