Monsieur le Préfet du Puy-de-Dôme,
Alors que l’arrêté du 30 juin 2023 a été annulé par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand et que l’arrêté du 24 juin 2024 autorisant l’exercice de la vénerie sous terre du blaireau du 1er juillet 2024 au 14 septembre 2024 et du 15 mai 2025 au 30 juin 2025 dans le département du Puy-de-Dôme est actuellement attaqué par 5 associations de protection de l’environnement (AVES, ASPAS, One voice, FNE63, LPO Aura), la Direction départementale des territoires du Puy-de-Dôme propose à la consultation du public un projet d’arrêté autorisant deux périodes complémentaires de vénerie sous terre du blaireau du 1er juillet 2025 au 14 septembre 2025, puis du 15 mai 2026 au 30 juin 2026.
Je souhaite déposer un AVIS DÉFAVORABLE à votre projet d’arrêté.
SUR LA FORME :
- Votre note de présentation est une copie à peine actualisée de la note de présentation publiée l’an dernier. Vous avez même laissé la mention (en annexe) dans le Titre 1 – Enquête réalisée par la fédération départementale des chasseurs, alors que ce document que nous avions déjà dénoncé l’an dernier n’est pas annexé à la consultation 2025. Pour rappel, on peut lire dans ce document que nous avions archivé que l’enquête mise en place par les chasseurs de votre département ne cache pas que son objectif est d’obtenir des données afin de « justifier et maintenir l’exercice de la chasse de cette espèce », alors que « depuis plusieurs années, les arrêtés concernant la chasse du blaireau sont systématiquement remis en cause par nos opposants ». La FDC63 a alors envoyé une « enquête succincte auprès des sociétés de chasse via Google- forms, afin d’obtenir rapidement un jeu de données sur cette espèce dans notre département ». Les questions étaient les suivantes et suffisent à décrédibiliser ces données, qu’il est honteux d’avoir relayé dans le cadre de cette consultation : « Le blaireau est-il présent sur votre territoire de chasse ? A votre connaissance, quel est le nombre de terriers fréquentés sur votre territoire de chasse ? Comment jugez-vous l’évolution de la population de blaireaux sur votre territoire ? Avez-vous prélevé des blaireaux sur votre territoire au cours des trois dernières saisons de chasse ? Sur votre territoire, le blaireau commet-il des dégâts ? Depuis 3 ans, ces dégâts sont-ils en diminution, stable ou en hausse ? Selon vous, quel est le meilleur moyen pour réguler les populations de blaireaux ? » Votre administration devrait avoir honte de s’appuyer sur de telles données pour autoriser l’ouverture anticipée de la vénerie sous terre du blaireau.
- Vous vous hasardez à faire des estimations de populations de blaireaux sans avoir de données pertinentes pour démontrer que la vénerie sous terre n’est pas de nature à mettre en danger les populations de blaireaux de votre département. Le recensement des blaireautières par les chasseurs, à la fois juges et parties, n’apporte pas plus d’élément sur les effectifs de blaireaux de votre département. En l’absence de toute information sur la manière dont a été conduit le recensement par les chasseurs, il est impossible d’estimer les effectifs de blaireaux à partir de ces données. Au mieux elle peuvent attester la présence de l’espèce sur une partie du territoire.
- Si vos méthodes de calcul sont contestables, la principale illégalité de votre projet d’arrêté repose sur le fait que vous n’êtes pas en capacité de démontrer que l’ouverture d’une période complémentaire de vénerie sous terre est indispensable dans votre département. Je vous rappelle que la vénerie sous terre peut être pratiquée légalement de mi septembre au 15 janvier chaque année, et que son ouverture anticipée doit être justifiée par autre chose que l’envie d’un groupe de chasseurs de pratiquer une chasse de loisir avant l’ouverture générale de la chasse.
- En introduction à votre note de présentation, vous rappelez que “le préfet peut également, conformément aux dispositions de l’article R424-5 du code de l’environnement, autoriser l’exercice de la vénerie du blaireau pour une période complémentaire à partir du 15 mai après avis de la CDCFS et de la fédération des chasseurs”. Toutefois, vous omettez de rappeler que l’article L. 424-10 du Code de l’environnement dispose qu’il est interdit de détruire, d’enlever, de vendre, d’acheter et de transporter les portées ou petits de tous mammifères dont la chasse est autorisée, sous réserve des dispositions relatives aux animaux susceptibles d’occasionner des dégâts. D’ailleurs, de nombreux tribunaux administratifs sanctionnent les arrêtés autorisant l’ouverture anticipée de la vénerie sous terre du blaireau pour méconnaissance de l’article L. 424-10 du code de l’environnement.
- L’article 9 de la Convention de Berne n’autorise les dérogations à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées qu’« à condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas à la survie de la population concernée pour prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et aux autres formes de propriété ». Pour être légales, les dérogations à l’interdiction de porter atteinte aux blaireaux doivent être justifiées par trois conditions, devant être cumulativement vérifiées : la démonstration de dommages importants aux cultures notamment ; l’absence de solution alternative ; l’absence d’impact d’une telle mesure sur la survie de la population concernée. L’exercice récréatif de la chasse est exclu. Or, la note de présentation n’apporte aucun élément pour justifier cette période complémentaire. Elle ne fournit aucune estimation fiable des populations de blaireaux dans le département, ni aucun détail sur les estimations de dégâts attribuées à l’espèce. Par ailleurs, il est fait mention de mesures préventives qui pourraient solutionner les rares dommages causés par ces animaux, mais vous vous contentez de les rejeter en affirmant qu’elles seraient trop coûteuses ou difficiles à mettre en place. Dans ces conditions, rien ne justifie la période complémentaire de vénerie sous terre du blaireau et le projet d’arrêté est donc entaché d’illégalité.
- Vous relayez l’étude du contenu stomacal des blaireautins menée par la fédération nationale des chasseurs. Selon vous, le fait que les blaireautins sont sevrés permettrait de les tuer sans contrevenir à l’article L. 424-10 du code de l’environnement. Pourtant, de l’avis de l’ensemble de la littérature scientifique, le blaireau est un « petit » tout au long de sa première année de vie. Le sevrage des blaireautins n’est que le passage d’une alimentation lactée à une alimentation solide, généralement fournie par la mère blairelle. Cette étape alimentaire n’a aucun rapport avec le passage à l’âge adulte des blaireautins, lesquels demeurent pleinement dépendants de leur mère jusqu’à la fin de leur premier automne. Autoriser l’ouverture anticipée de la vénerie sous terre est donc bien une infraction, qui conduit de plus en plus de tribunaux administratifs à suspendre et annuler les arrêtés concernés.
- Le scientifique François Lebourgeois a écrit dans Activités saisonnières et comportements du blaireau européen (Meles meles L.) en contexte forestier tempéré de feuillus de plaine : résultats de 11 ans de suivi journalier (2013-2023) : “Comme beaucoup de mammifères, le blaireau est donc une espèce « altriciale », c’est-à-dire que la croissance et le développement des jeunes nécessitent des soins postnaissance prodigués par des individus adultes (notamment la mère). Même après le sevrage (chez les mammifères « processus durant lequel une mère cesse définitivement d’allaiter son petit »), les jeunes restent dépendants des adultes pour les soins, les différents apprentissages liés à la recherche de la nourriture, aux comportements pour la cohésion des groupes, à l’entretien des terriers.” Pourtant vous continuez d’affirmer que “Dès le 15 mai dans le département du Puy-de-Dôme, les jeunes blaireaux sont sevrés et indépendants”, au mépris de toutes les données scientifiques.
- La vénerie sous terre est une technique de chasse aveugle qui consiste à envoyer un chien dans le terrier pour acculer les blaireaux, puis détruire leur habitat pour les en extraire avant de les tuer. Dans plusieurs départements, la transmission par l’administration des chiffres des prises de blaireaux a prouvé que la vénerie sous terre conduit à la destruction des terriers et de l’ensemble de ses occupants, y compris des jeunes de l’année, dépendants et qui n’ont évidemment pas pu se reproduire. Le pourcentage de jeunes tués lors des opérations de vénerie sous terre peut dépasser 45% ! Elle s’ajoute à une mortalité déjà élevée chez les blaireautins.
- Vous tentez de justifier l’ouverture anticipée de la vénerie sous terre du blaireau par les dommages aux infrastructures. Pourtant, vous savez que la vénerie sous terre ne peut en aucun cas répondre à ce genre de problématique, ne pouvant pas être réalisée à proximité des voies ferrées, des routes ou des digues. Seules des solutions permettant un renforcement des ouvrages et la création de terriers artificiels permet de résoudre ces cas précis.
- De l’aveux même des chasseurs, la vénerie sous terre est une chasse récréative qui n’a pas d’objectif de régulation. Vous semblez toutefois vouloir justifier l’ouverture anticipée par les dégâts aux cultures agricoles. Or, votre note de présentation n’apporte aucun élément factuel à ce propos. Vous vous contentez de transmettre un chiffrage annuel de dégâts sans que le contributeur puisse en vérifier la véracité.
- Les chasseurs comme votre administration affirment que la vénerie sous terre est la seule réponse pour éviter des dégâts de blaireaux. Or, la vénerie sous terre a été largement pratiquée dans votre département depuis au moins dix ans et plus de 10.000 blaireaux ont été tués au cours des dix dernières années dans votre département. Pourtant, vous continuez d’affirmer que le nombre de dégâts augmente, ce qui est la preuve que la vénerie sous terre et votre politique de destruction n’est absolument pas efficace et qu’il serait temps de vous tourner vers d’autres formes de cohabitation ou des solutions non létales pour gérer les conflits.
- Dans votre note de présentation, vous énumérez une liste de dommages qui selon vous peuvent être attribués aux blaireaux. Pourtant, vous ne fournissez aucun exemple vérifiable. Une fois de plus, les seuls chiffres avancés proviennent de la fédération de chasse. Aucune information dans votre note de présentation ne permet de vérifier la véracité de ces affirmations, la fréquence et la criticité de ces supposés dégâts. Vous vous contentez d’affirmer qu’entre 2010 et 2024, les constats de dégâts enregistrés par la DDT varient de moins de 10 à 28 constats annuels, ce qui ne peut en aucun cas justifier la mise à mort de plusieurs centaines de blaireaux. Dans tous les cas, cela montre l’inefficacité de votre politique de limitation de dégâts.
- Vous affirmez en introduction de votre projet d’arrêté que « la période d’ouverture complémentaire de vénerie sous terre du blaireau en vigueur depuis de nombreuses années dans le Puy-de-Dôme, permet d’assurer une régulation de l’espèce en vue de limiter les dommages qu’elle peut causer ». Pourtant, dans la note de présentation rédigée par vous services, vous admettez que « Les chiffres de prélèvements de blaireaux dans le département du Puy-de-Dôme sont en hausse depuis 2010. Tous modes de prélèvement confondus, chasse, vénerie sous terre et opérations administratives, le niveau des prélèvements s’établissait à 780 animaux en 2010 et a connu une hausse jusqu’en 2015 avec 1 180 animaux prélevés et s’est stabilisé jusqu’à aujourd’hui entre 1000 et 1100 individus. » Pourtant, vous poursuivez en écrivant « Les constats de dégâts enregistrés par la DDT (dégâts agricoles, dégâts aux propriétés privées) n’ont cessé d’augmenter ». C’est la preuve que la vénerie sous terre est une pratique récréative qui met à mort des blaireaux dans des territoires qui ne sont pas concernés par les prétendus dégâts que vous attribuez à cette espèce et qu’elle est à la fois inutile et contre-productive. La vénerie sous terre ne répond pas aux problématiques que vous affirmez vouloir régler avec votre projet d’arrêté, qui doit être abandonné.
- Vous précisez que “Le projet d’arrêté a été soumis à l’avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage dans sa séance du 5 mai 2025.“ Chacun sait que ces commissions sont déséquilibrées et que les représentants d’intérêts cynégétiques y siègent en large majorité. La publication d’un compte-rendu de la CDCFS aurait toutefois permis aux contributeurs de savoir quelle a été la nature des débats et les éventuelles oppositions soulevées contre votre projet d’arrêté. De plus, l’avis de la CDCFS est seulement consultatif, et il est de votre responsabilité de faire respecter la loi et de ne pas céder aux chasseurs, alors que vous savez que votre administration prend le risque d’être attaquée devant le tribunal administratif.
- Je me permets de vous rappeler qu’au moment de la publication de l’arrêté final, l’article L 123-19-1 du code de l’environnement stipule qu’ « au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l’autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l’indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision. » Je vous remercie donc de bien prévoir la publication d’une synthèse des avis qui vous ont été envoyés.
LES JURISPRUDENCES EN FAVEUR DU BLAIREAU :
Suite aux recours en justice déposés par les associations, les juges des tribunaux administratifs donnent de plus en plus souvent raison aux associations.
Dans leurs ordonnances, les tribunaux administratifs justifient la suspension ou l’annulation des arrêtés pour les motifs suivants :
- Insuffisance de démonstration de dégâts
- Illégalité destruction « petits » blaireaux
- Défaut de recours à des mesures alternatives à l’abattage
- Insuffisance de justifications dans la note de présentation
- Méconnaissance de l’état des populations de blaireaux
- Défaut de fixation d’un nombre maximal d’animaux susceptibles d’être prélevés
- Irrégularité de la convocation des membres de la CDCFS
- Risque sanitaire lié à la tuberculose bovine
- Illégalité de l’article R.424-5 du code de l’environnement
- Non respect de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique
- Maturité sexuelle des petits non effective
- Insuffisance de démonstration de dégâts aux infrastructures
SUR LE FOND :
- Suite aux recours des associations, de plus en plus de départements reconnaissent l’illégalité des périodes complémentaires de vénerie sous terre du blaireau et ne les autorisent plus.
- Cette pratique, appelée « vénerie sous terre », est particulièrement barbare et cruelle. Elle inflige de profondes souffrances aux animaux puisqu’elle consiste à acculer les blaireaux dans leur terrier à l’aide de chiens, puis, pendant plusieurs heures, à creuser afin de les saisir avec des pinces. Les animaux, dans un état de stress très important, sont ensuite achevés à la dague.
- La vénerie sous terre met en danger les chiens qui sont envoyés dans les terriers et qui peuvent être blessés, répandre des zoonoses ou être tués par les animaux sauvages qui se défendent d’une agression extérieure. D’ailleurs, la Suisse a interdit cette pratique dans le but de protéger les chiens.
- La vénerie sous terre n’est pas sans conséquences pour d’autres espèces sauvages. En effet, une fois l’opération terminée, les terriers, souvent anciens, se trouvent fortement dégradés. Or ces derniers sont régulièrement utilisés par d’autres espèces, dont certaines sont réglementairement protégées par arrêté ministériel et directive européenne, comme le Chat forestier (Felis silvestris) pour les départements concernés ou des chiroptères lorsque certaines espèces sont en phase d’hibernation pendant la période de septembre/octobre à fin avril : « Le Petit rhinolophe hiberne dans des gîtes souterrains (mines, caves, sous-sols ou même terriers de Renard ou de Blaireau) »source : Atlas des Mammifères de Bretagne éd. 2015.
- Le Conseil de l’Europe recommande d’interdire le déterrage : « Le creusage des terriers, à structure souvent très complexe et ancienne, a non seulement des effets néfastes pour les blaireaux, mais aussi pour diverses espèces cohabitantes, et doit être interdit. »
À PROPOS DU BLAIREAU :
- Les populations de blaireaux sont fragiles et souffrent de la disparition de leurs habitats (haies, lisières, prairies, …) et sont fortement impactées par le trafic routier.
- Inscrit à l’annexe III de la Convention de Berne, le Blaireau d’Europe, Meles meles, est une espèce protégée (cf. art. 7). A titre dérogatoire, la Convention de Berne encadre strictement la pratique de la chasse et la destruction administrative de cette espèce (cf. art. 8 et 9). Le ministère de l’écologie doit soumettre « au Comité permanent un rapport biennal sur les dérogations faites ».
- La dynamique des populations de blaireaux est extrêmement faible (moyenne de 2,3 jeunes par femelle et par an).
- Cette espèce n’est jamais abondante (mortalité juvénile très importante (de l’ordre de 50% la 1ère année).
- Une mortalité importante de blaireaux est liée au trafic routier.
- Les opérations de vénerie peuvent affecter considérablement les effectifs de blaireaux et peuvent entraîner une disparition locale de cette espèce.
- Les dégâts que le blaireau peut occasionner dans les cultures de céréales sont peu importants et très localisés, essentiellement en lisière de forêt. Selon l’Office National de la Chasse ONC bulletin mensuel n° 104 : « Les dégâts que peut faire le blaireau dans les cultures ne sont gênants que très localement (…) Et il suffit de tendre une cordelette enduite de répulsif à 15 cm du sol pour le dissuader de goûter aux cultures humaines. »
- En ce qui concerne les éventuels dégâts causés sur les digues, routes ou ouvrages hydrauliques par le creusement des terriers, la régulation du blaireau a montré son inefficacité, voire même un effet contre-productif du fait de la place libérée par l’animal éliminé qui est très vite occupée par un autre individu.
- Une méthode simple et pérenne consiste à utiliser des produits répulsifs olfactifs sur les terriers posant problème, ceci accompagné de la mise à disposition à proximité de terriers artificiels. Les avantages de cette solution sont que les animaux continueront d’occuper un territoire sur le même secteur et ne permettront pas l’intrusion d’un nouveau clan. (source : LPO Alsace)
AVIS DEFAVORABLE