Semences, propriété intellectuelle, contrefaçon

11 janvier 2014
Quelles nouveautés suite à la première lecture de la LAAF à l’Assemblée Nationale les 9 et 10 janvier et à l’examen le 8 janvier, par la commission des affaires économiques du sénat, du rapport concernant la résolution européenne sur la mise sur le marché et brevetabilité des semences et obtentions végétales

I – échanges de semences

Art 3 de la LAAF, adopté : Amendement proposé par le collectif SemonslaBiodiversité (SlB), la Conf et le RSP, adopté par les commissions des affaires culturelles et économiques,

L’article L325-1 du Code Rural est ainsi complété :
Art. L. 325-1. – L’entraide est réalisée entre agriculteurs par des échanges de services en travail et en moyens d’exploitation. Elle peut être occasionnelle, temporaire ou intervenir d’une manière régulière. L’entraide est un contrat à titre gratuit, même lorsque le bénéficiaire rembourse au prestataire tout ou partie des frais engagés par ce dernier. Lorsqu’elle est pratiquée dans une exploitation soumise au régime d’autorisation des exploitations de cultures marines, l’entraide doit donner lieu à l’établissement d’un contrat écrit.
Art. L. 325-1-1. – Sont également considérés comme relevant de l’entraide au sens de l’article L. 325-1, sans préjudice de la réglementation qui leur est applicable, les échanges entre agriculteurs de semences ou de plants n’appartenant pas à une variété protégée par un certificat d’obtention végétale et produits sur une exploitation hors de tout contrat de multiplication de semences ou de plants destinés à être commercialisés. »

Bien que présenté dans la partie de la loi concernant les GIEE, rien ne dit dans cet article que son application se limite aux échanges entre membres de GIEE. Les conditions d’application de la réglementation qui leur est applicable (sanitaire, PI, dénomination des récoltes…) ne sont cependant pas définies.

Alinéa 8 du rapport sénatorial, adopté. Amendement présenté par le sénateur Labbé, EELV
Le Sénat « est favorable aux dérogations pour les opérateurs non professionnels car celles-ci sont indispensables à la conservation de la biodiversité ; »
D’un autre côté, le gouvernement français œuvre contre la commission européenne mais avec l’industrie semencière et la majorité du parlement Européen pour que les agriculteurs ne soient pas considérés par ce règlement comme des opérateurs professionnels ayant le droit d’échanger leurs semences hors du champ d’application des règles commerciales. Les échanges entre agriculteurs ne pourraient alors se dérouler que dans le cadre des réseaux de conservation des ressources phytogénétiques, coordonnés en France par le GEVES dont les missions principales concernent la gestion du catalogue et de l’attribution des COV.

II – Contrefaçons
1) Brevets
Article 25 de la LAAF, adopté
. Amendement présenté par le rapporteur de la loi et soutenu par le gouvernement.

L’article L 613-2-2 du CPI est ainsi complété

Article L613-2-2 du Code de la Propriété intellectuelle
Sous réserve des dispositions des articles L. 613-2-1 et L. 611-18, la protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique s’étend à toute matière dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l’information génétique est contenue et exerce la fonction indiquée.
« Cette protection ne s’applique pas en cas de présence fortuite ou accidentelle d’une information génétique brevetée dans des semences, des matériels de multiplication des végétaux, des plants et plantes ou parties de plantes. »

Cet amendement reconnaît le risque lié aux présences fortuites, mais a une portée très limitée :
– une présence n’est fortuite ou accidentelle que pour autant que l’utilisateur (agriculteur, sélectionneur, semencier…) n’en soit pas informé. Mais dès qu’il est informé et qu’il réutilise quand même ses ressources semences contaminées pour de nouvelles productions, cette présence n’est plus fortuite ni accidentelle, mais intentionnelle. Ce qui veut dire l’agriculteur dont la récolte est contaminée de manière fortuite ou accidentelle et qui en est informé (par le titulaire du brevet, un acheteur, une analyse OGM obligatoire…) ne peut plus l’utiliser comme semences pour ses futures productions. Cet amendement ne supprime donc pas les risques d’abandon obligatoire des cultures de variétés locales contaminées, ni d’appropriation (biopiratrie) de l’ensemble des ressources phytonégétiques, que ce soit par contamination génétique ou par des brevets sur des gènes natifs.
– cet amendement ne prend pas en compte les risques concernant les animaux et les préparations naturelles à base de micro-organismes.

Alinéa 18 du rapport sénatorial, adopté. Amendement présenté par le sénateur Lecam, communiste
Le sénat… « affirme  son attachement au caractère non brevetable des plantes issues de la sélection génétique, tout particulièrement dans le cas de plantes obtenues par des procédés d’amélioration classique et exclut en conséquence les plantes comme les variétés du domaine de la brevetabilité »
Comme il s’agit d’une résolution européenne, cette demande s’adresse à l’Union Européenne et non au Parlement ou gouvernement français.

2) COV
Article 25 LAAF, adopté.
Amendement présenté par le gouvernement.
Art L. 623-4 du code de la propriété intellectuelle
I.-Toute obtention végétale peut faire l’objet d’un titre appelé ” certificat d’obtention végétale ” qui confère à son titulaire un droit exclusif de produire, reproduire, conditionner aux fins de la reproduction ou de la multiplication, offrir à la vente, vendre ou commercialiser sous toute autre forme, exporter, importer ou détenir à l’une de ces fins du matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée.
II.-Lorsque les produits mentionnés aux 1° et 2° du présent II ont été obtenus par l’utilisation autre que fortuite ou accidentelle et non autorisée de matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée, le droit exclusif s’étend…,

S’agissant du COV, les risques de contaminations par flux de pollen ou de graines paraissent inexistant en pratique. Les explications données en séance ne permettent pas de cerner l’objectif du gouvernement. S’agit-il d’une surenchère médiatique destinée à faire accepter la loi contrefaçon qui sera votée par l’Assemblée Nationale avant les prochaines lectures de la LAAF au Sénat et à l’Assemblée Nationale où cet article dont la cohérence reste à démontrer pourra alors disparaître ? Ou s’agit-il d’un artifice visant à justifier une obligation de traçabilité des échanges de semences autorisés dans le cadre de l’entre-aide ?

Alinéa 19 du rapport sénatorial, adopté. Amendement présenté par Mme Bourzai, rapporteure
Le sénat « souhaite que la notion de contrefaçon en matière de semences et plants soit définie de manière plus circonscrite ».
Comme il s’agit d’une résolution européenne, cette demande s’adresse à l’Union Européenne et non au Parlement ou gouvernement français.

3) Traçabilité et présomption de contrefaçon
Végétaux. Article 25 LAAF, adopté.
Amendement proposé par SlB, Conf et RSP, présenté par EELV et quelques députés socialistes, soutenu par le rapporteur et le gouvernement

« Art. L. 661-8 du Code Rural
.-Les règles relatives à la sélection, la production, la protection, le traitement, la circulation, la distribution, et l’entreposage et la commercialisation des semences, des matériels de multiplication des végétaux, des plants et plantes ou parties de plantes destinés à être plantés ou replantés, autres que les matériels de multiplication végétative de la vigne et les matériels forestiers de reproduction, ci-après appelés ” matériels ”, en vue de leur commercialisation, ainsi que les règles relatives à leur commercialisation, sont fixées par décret en Conseil d’Etat. »

Cet amendement exclu les producteurs de semences de ferme et paysannes des obligations d’enregistrement et de respect des règles de production des semences commerciales. Il prive par là les obtenteurs et les titulaires de brevets de la liste de ces producteurs pouvant constituer une présomption de contrefaçon suffisante pour leur permettre d’engager contre eux des poursuites en contrefaçon. Mais le Ministère de l’agriculture se bat par ailleurs contre la Commission européenne mais avec l’industrie semencière et la majorité du Parlement européen pour réintroduire cette obligation dans le futur règlement semences européen, qui sera d’application directe en France sans avoir besoin de la moindre loi : guerre interne ou double jeu ?

Animaux. Article 38 II de la LAAF, adopté. Suppression de l’article L 653-6 du Code rural instituant une obligation d’achat de mâles certifiés (dit « voie mâle »). Cet amendement rend aux éleveurs leur liberté de choix de leurs reproducteurs et prive les titulaires de DPI sur des animaux (brevets, marques…) d’un outil de traçabilité et de contrôle des échanges d’animaux protégés à partir des troupeaux de reproducteurs agréés.

4) Quelle suite ?

Ces nouveaux articles sont le résultat de la prise de conscience et de la mobilisation de nombreux parlementaires suite aux multiples actions et intervention de SlB, de la Conf, du RSP, des collectifs d’éleveurs, de chercheurs et plus largement de la société civile. Nous aurions tort de ne pas nous en féliciter, tout en rappelant qu’ils ne sont encore que provisoires. En effet, la LAAF doit encore être débattue deux fois au Sénat et une nouvelle fois à l’Assemblée nationale. Violemment combattus par l’UMP, ces articles rencontreront sans doute plus de difficultés au Sénat où le nombre d’élus de tous bords défendant l’industrie est nettement plus important qu’à l’Assemblée Nationale. Il convient donc d’abord de les défendre.

Répondent-ils pour autant aux questions posées par la loi sur la lutte contre les contrefaçons ?
Cette loi contrefaçon doit être votée définitivement à l’Assemblée Nationale le 3 février, avant les prochains examens de la LAAF par le Sénat, puis à nouveau par l’Assemblée Nationale. Même si ces nouveaux articles étaient suffisant, ce qui n’est pas le cas, il conviendrait d’attendre leur vote définitif avant d’accepter la loi contrefaçon.
Pour obtenir le rejet de l’amendement sur une exception agricole à la loi contrefaçon proposé par SlB, Conf et RSP et soutenu par EELV, les communistes, de nombreux centristes et socialistes, le rapporteur de la LAAF a prétendu qu’il était déjà satisfait par les autres nouveaux articles adoptés, ce qui est faux :
– sur les COV, le nouvel article L. 661-8 du Code Rural ne supprime que l’obligation d’enregistrement des agriculteurs producteurs de semences de ferme, conformément au droit européen actuel qui considère que le choix de la semence utilisée est une information à caractère personnel devant être protégée. Le nouvel article L 623-4 du CPI n’élimine qu’un risque inexistant. Le décret annoncé sur l’augmentation du nombre d’espèces dérogatoires est toujours contraire au droit européen (2100/94/CE). Et le Sénat tente de dédouaner le gouvernement et le Parlement français en renvoyant à l’Union Européenne les soin de mieux définir la contrefaçon. En dehors du blé tendre, la totalité des semences de ferme produites en France restent donc des contrefaçons pouvant être saisies et détruites sur simple demande d’un obtenteur si la loi contrefaçon est adoptée en l’état. L’interdiction ou la taxation des semences de ferme maintenues sans changement restent toujours totalement illégitimes et inacceptables.
– sur le brevet, le nouvel article L 613-2-2 du CPI ne lève pas l’interdiction qui est faite à agriculteur informé de la présence fortuite d’une information génétique brevetée dans sa récolte (contamination ou brevets sur des gènes natifs) de la réutiliser comme semence. Contrairement aux déclaration du rapporteur, la suppression de l’article L 653-6 du Code rural sur la « voie mâle » ne lève pas non plus l’interdiction qui est faite à un éleveur d’utiliser ses animaux reproducteurs s’il est informé qu’ils portent la présence fortuite d’une information génétique brevetée (échanges entre agriculteurs, brevets sur des gènes natifs). Et rien n’est dit dans la LAAF pour les préparations naturelles issues de micro-organismes de la ferme ou du milieu naturel qui restent des contrefaçons dès la moindre contamination ou présence d’un gène natif breveté.

L’amendement suivant instaurant une exception agricole à la loi contrefaçon reste donc plus que jamais d’actualité, avant une remise à plat de l’ensemble de la réglementation sur le COV et le brevet sur le vivant :

« La production à la ferme par un agriculteur de ses semences, de ses plants, de ses animaux ou de ses préparations naturelles pour les besoins de ses propres productions agricoles et fermières ne constitue pas une contrefaçon.
« La rémunération de la sélection des végétaux et des animaux destinés à l’alimentation et à l’agriculture fait l’objet de dispositifs particuliers qui ne rentrent pas dans le champ d’application des lois générales de lutte contre les contrefaçons. ».

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