Le rapport de la commission Mobilité 21 : une vision étriquée de l’avenir du rail – Ville, rail & transports du 16 07 13

Jean Sivardière, président de la FNAUT – Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports

Une avancée incontestable

La commission Mobilité 21 propose avec courage une hiérarchisation des projets, totalement absente du SNIT. La démarche suivie a été fructueuse pour deux raisons :
– l’attention portée à des objectifs peu médiatiques mais fondamentaux, sauvegarde et modernisation des infrastructures existantes, prévention de la saturation des grandes gares et de quelques grands axes ferroviaires (Paris-Mantes), et amélioration de la desserte longtemps négligée de nos ports ;
– le souci de ne pas entretenir des rêveries mégalomaniaques donc d’éliminer, par « report à un horizon lointain », divers projets inutiles, nocifs pour l’environnement, ruineux, voire fantaisistes, tels que les autoroutes A51, A26, A319, A831, la LGV Poitiers-Limoges, le canal Saône-Moselle (350 km) et ce mystérieux « barreau ferroviaire est-ouest »… On doit regretter à ce propos que la commission n’ait pas eu à examiner l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou le canal Seine-Nord : son avis aurait été instructif…
Les conclusions de la commission souffrent cependant de deux défauts majeurs : beaucoup trop de routes et pas de recours à la fiscalité écologique.

Un programme routier surdimensionné

Tout en dissertant sur la mobilité durable et la « transition écologique et énergétique »,… la Commission a retenu des projets routiers pléthoriques, inévitablement au détriment des autres modes dans une situation de pénurie d’argent public. La situation exigeait une priorité au transport collectif de proximité et au rail, et non un blocage des investissements ferroviaires, grande vitesse et fret, à un niveau bien insuffisant.
Manifestement, malgré une démarche apparente de rationalisation des choix, la commission n’a examiné les projets qu’au cas par cas, sans dégager une vision globale intermodale, sans s’interroger sur l’équilibre souhaitable entre les différents modes de transport. Elle a oublié qu’on trouve en France 2 000 km de LGV (bientôt 2 700) et 12 000 km d’autoroutes et qu’en 2012, selon la CCTN, la route a absorbé 73% des investissements route + rail, et le rail 27%.

Elle a ainsi sélectionné le renforcement de la Route Centre Europe Atlantique (RCEA) et reporté aux calendes la Voie Ferrée Centre Europe Atlantique (VFCEA), une opération exemplaire de maillage du réseau ferré par remise à niveau de l’existant. De même la A104 Méry-sur-Oise – Orgeval (2,8 milliards d’euros), très destructrice d’un environnement privilégié, est actée au moment où on étudie des rocades ferroviaires franciliennes. Un véritable contresens !
La commission retient, sous prétexte de désenclavement, plusieurs projets autoroutiers qui s’ajouteraient aux innombrables projets très coûteux de modernisations d’itinéraires routiers (PDMI). Mais qui peut encore croire qu’une autoroute va garantir le développement de localités telles que Langres, Vesoul, Castres ou Mazamet ? Pourquoi entretenir cette illusion ? Et pourquoi accorder à de petites villes un « droit à l’autoroute » pendant que de grandes métropoles régionales se verraient refuser un « droit à la LGV » ?
Le maintien des projets A45, A31-bis et des grands contournements de Paris (A104), Strasbourg (A355), Rouen, Lyon (qui en a déjà un)… est aberrant : si les voiries existantes sont engorgées dans les zones denses, c’est par un trafic de proximité qui ne pourra être absorbé que par des transports collectifs ferroviaires et routiers plus efficaces. De nouvelles routes ne peuvent que favoriser l’étalement urbain, générer un trafic automobile, des nuisances et des gaspillages de pétrole supplémentaires, et se saturer rapidement à leur tour.

La fiscalité écologique ignorée

La Commission n’a fait aucune proposition sérieuse visant à dégager des moyens financiers nouveaux. Elle a manqué d’ambition en ignorant, en particulier, les possibilités offertes par la fiscalité écologique, pourtant exploitée avec succès par nos voisins suisses pour financer leurs nouveaux grands tunnels ferroviaires nord-sud, et s’est contentée de hiérarchiser les projets dans le cadre de deux scénarios très contraints financièrement.
Il suffirait pourtant d’une hausse d’un centime par litre des taxes sur le diesel, qui rapporterait environ 400 millions d’euros par an, pour passer, par effet de levier, d’une dépense de 8 à 10 milliards d’ici 2030 (scénario 1) à une dépense de 26 à 28 milliards (scénario 2) permettant de retenir des investissements supplémentaires – concernant toutes les composantes de l’offre ferroviaire et pas seulement des LGV – justifiés par l’importance des territoires à desservir et les effets bénéfiques des transferts modaux attendus.

Une vision malthusienne du TGV

Pour la commission, compte tenu des 4 opérations en cours, l’essentiel du réseau des LGV est aujourd’hui en place, et son extension peut attendre, on peut se contenter de trains circulant à 200 km/h, le TGV n’est plus rentable, c’est du prestige inutile.
Ainsi seule la LGV Bordeaux-Toulouse est envisagée (dans le scénario 2), un choix prioritaire judicieux mais un peu court. Le projet POCL est reporté malgré sa double fonction : doublement de la LGV Paris-Lyon et desserte du centre de la France. Faute d’une approche « réseau », la commission a reporté l’interconnexion sud en Ile-de-France et ignoré la possibilité, suggérée par la FNAUT, de créer à moindre coût, à partir du POCL, des transversales performantes Lyon-Rennes/Nantes et Lyon-Strasbourg par de courts barreaux Orléans-Courtalain et Dijon-Saulieu. Enfin elle a totalement manqué de vision européenne en reportant la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan, l’accès fret au tunnel transfrontalier du Lyon-Turin et même le plus modeste prolongement de la LGV Rhin-Rhône jusqu’à Lutterbach (35 km), pourtant promis par l’Etat.
Le lobbying des écologistes a bien fonctionné : pendant que Philippe Duron « dédiabolisait » la route, ils ont réussi à diaboliser le TGV, qualifié de train des riches (malgré ses 120 millions de voyageurs par an), destructeur de biodiversité, énergivore,…

La FNAUT estime au contraire que le réseau des LGV doit être complété de manière rationnelle, car beaucoup reste à faire pour désaturer des lignes classiques au bénéfice du TER et du fret, désaturer certaines LGV (Paris-Lyon, Paris-Courtalain), réduire la durée des trajets Paris-province (Toulouse), accélérer les relations entre métropoles régionales (Marseille et Nice), donc concurrencer à la fois l’avion et la voiture et contribuer ainsi à la lutte contre le réchauffement climatique tout en évitant de coûteux travaux aéroportuaires et routiers. La FNAUT s’appuie pour cela sur le remarquable rapport lancé à son initiative et à celle de RFF, et remis récemment (mars 2013) à RFF par Gérard Mathieu, Jacques Pavaux et Marc Gaudry.
Le gouvernement doit maintenant prendre des décisions, espérons qu’il lira attentivement ce rapport, tiendra compte de l’impératif énergétique et climatique, et sera moins ambitieux pour la route et plus ambitieux pour le rail que ne l’a été la commission Mobilité 21.

le rapport Mathieu-Pavaux-Gaudry

De ce rapport, la FNAUT a retenu les principaux points suivants.
– Les émissions de gaz à effet de serre (GES), entretien des infrastructures compris, sont de 255, 114 et 7 géqCO2 par voyageur.km respectivement pour l’avion court-courrier, la voiture et le TGV : le TGV émet donc 36 fois moins que l’avion et 16 fois moins que la voiture.
– Le temps au bout duquel les émissions de GES dues à la construction d’une LGV sont compensées par l’effet des reports de trafic est inférieur à 10 ans pour les projets les plus pertinents, donc négligeable devant la durée de vie de la LGV.
– Sur des distances de 600 à 800 km, la part de marché du train est bien plus élevée dans les pays bien équipés en LGV (Madrid-Barcelone 80%, Paris-Marseille 70%, Milan-Rome 67%) qu’en Allemagne (Hambourg-Munich 15%) ou en Angleterre (Londres-Glasgow 12%). Un temps de parcours réduit (LGV continue et vitesse élevée) est donc décisif, surtout sur les longues distances. Privilégier l’aménagement des lignes classiques suivant le modèle allemand (il n’y a que 840 km de LGV en Allemagne) ne permet pas de concurrencer l’avion.
– Les relèvements de vitesse à 200-220 km/h ne sont possibles que sur de rares et courtes sections de lignes classiques. Les doublements sur place sont très coûteux (traversées de villes et de villages, impacts sur les ouvrages existants), jusqu’à 40 ou 50 millions d’euros /km contre 20 à 25 pour une LGV. Un aménagement de ligne classique est donc coûteux et ne permet que de faibles gains de temps, donc de faibles reports de trafic aérien et routier sur le rail.
– La LGV Paris-Lyon, utilisée par 40 millions de voyageurs par an, sera saturée vers 2030, malgré un recours systématique à des rames doubles à deux étages, une hausse des taux de remplissage (déjà très élevés) et l’introduction de la signalisation ERTMS 2. Sans doublement, on assistera à une dégradation progressive de la qualité de service puis, faute de capacité disponible, à des refus de trafic au bénéfice de l’avion et de la route. Ce pronostic tient compte de la forte hausse de la population sur le littoral méditerranéen – plus de 25 % d’ici 2040 d’après l’INSEE – mais suppose que le prix du pétrole reste modéré.

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